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    Il ne va pas de soi que le monde peut être pensé. Il ne va pas de soi qu'une physique, une science de la nature donc, est possible. Il ne va pas de soi qu'elle nous apprend quelque chose du monde qui dépasse ce que notre esprit y a lui-même instillé. Il faut, je crois, cheminer en cosmologie en ne négligeant jamais l'étonnement primitif de ce semblant d'intelligibilité.

    © Theartofsounds2001, Pixabay, DP

    © Theartofsounds2001, Pixabay, DP

    Il est impossible de ne pas faire face à l'interrogation de Heidegger revisitant Leibniz : « Pourquoi y a-t-il l'Étant et non pas plutôt rien ? » Ce qui n'est d'ailleurs pas sans faire écho à l'inquiétude de Wittgenstein, représentant pourtant une tradition philosophique réputée divergente. « Ce qui est mystique, ce n'est pas comment est le monde, mais le fait qu'il est. » Une immense étrangeté vertèbre l'existence même de l'univers et le fait qu'il nous soit, au moins un peu, accessible.

    Mathématicien et philosophe, Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) s'est interrogé sur la capacité de l'esprit humain à comprendre l'univers, ainsi que sur les principes physiques et métaphysiques à l'origine du monde dans sa totalité. © DP

    Mathématicien et philosophe, Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) s'est interrogé sur la capacité de l'esprit humain à comprendre l'univers, ainsi que sur les principes physiques et métaphysiques à l'origine du monde dans sa totalité. © DP

    Au-delà de cette curieuse capacité de la physique à appréhender le réel, il est remarquable que l'univers lui-même soit un objet d'étude scientifique. L'univers n'est pas un système comme les autres. D'abord, nous faisons partie du système décrit. Nous sommes un élément de l'univers, une parcelle du système considéré. Ensuite, l'expérience est non reproductible. La « naissance » de l'univers n'a eu lieu qu'une fois ! Le protocoleprotocole opératoire de la physique consiste à tenter d'inférer des lois à partir de l'observation de régularités lors de la réitération d'expériences similaires. C'est inenvisageable en cosmologie. De plus, les « conditions initiales » jouent ici un rôle très particulier.

    La physique ne peut prédire la position de chute d'une pierre que si l'on spécifie la manière dont elle est jetée : sa vitessevitesse et sa position primitives. C'est ce que les scientifiques nomment les conditions initiales. Elles sont toujours extérieures et antérieures à l'expérience considérée. Or, précisément, le système univers ne comporte ni extériorité ni antériorité. Pas d'avant, pas d'ailleurs. Qui peut donc fixer les conditions initiales essentielles aux prédictions ? Comment ? Enfin, dans l'étude de l'univers, c'est l'état actuel qui est connu et l'état primitif qui est recherché. Il faut penser « à rebours ». Sans même mentionner que les énergiesénergies en jeu dans les premiers instants du cosmos sont sans aucun doute beaucoup plus importantes que ce qui a jamais été -- et que ce qui sera sans doute jamais -- testé sur Terre. Pour toutes ces raisons, la possibilité même d'une cosmologie pourrait sembler compromise à priori.

    Le petit miracle de la cosmologie tient à ce qu'en dépit de ces difficultés -- à moins que ce ne soit en partie grâce à elles --, elle s'est effectivement constituée comme une science, et même, comme une science de précision.