La neuvième planète du Système solaire n'a toujours pas été observée. Mais en attendant la preuve de son existence, les astronomes viennent de découvrir un argument de plus pour la prendre au sérieux. Les perturbations gravitationnelles qu'elle exercerait rendent compte d'une énigme de la mécanique céleste, l'inclinaison des orbites des autres planètes par rapport à l'équateur du Soleil.

au sommaire


    Fin août 1846, l'astronomeastronome français Urbain Le VerrierUrbain Le Verrier rendait public le résultat des calculs qu'il avait menés en utilisant la théorie des perturbations en mécanique céleste, intensément développée par Lagrange et Laplace des dizaines d'années plus tôt pour étudier notamment la stabilité des orbites du Système solaire. Il en résultait qu'une nouvelle planète existait au-delà d'UranusUranus et que c'est l'influence de sa gravité qui expliquait les anomaliesanomalies des mouvements de la planète découverte au XVIIIe siècle par Herschel. Il s'agissait bien sûr de NeptuneNeptune, autour de laquelle un autre astronome français, André Brahic, découvrira des anneaux au XXe siècle.

    L'histoire est-elle en train de se répéter singulièrement à 170 ans d'intervalle ? On se souvient de l'annonce retentissante, le mercredi 20 janvier 2016, de la possible existence d'une neuvième planète dans le Système solaire. Elle provenait de la publication d'un article dans The Astronomical Journal par deux chercheurs du célèbre Caltech, Mike Brown et Konstantin Batygin. En analysant les caractéristiques des orbites d'objets transneptuniens, ils en avaient déduit la présence d'une géante gazeuse comparable en massemasse et en taille à Neptune, à plus de 30 milliards de kilomètres du SoleilSoleil. Il pourrait s'agir d'une exoplanète capturée par le Soleil ou d'un corps qui se serait formé, comme les autres, à l'aubeaube de l'histoire du Système solaire et aurait ensuite migré.

    On ne sait toujours pas si cette planète X (X étant ici une lettre, comme celle désignant une quantité inconnue en algèbre et non un chiffre) existe bel et bien mais un nouveau rebondissement vient de se produire et il est fascinant. Il provient de deux équipes de chercheurs qui ont déposé sur arXiv deux articles dont les conclusions sont très similaires et qui rendent plus crédible encore l'existence d'une neuvième planète. Il s'agit d'un côté, et sans surprise, de Konstantin Batygin et Michael E. Brown avec leur collègue Elizabeth Bailey, et de l'autre, de Rodney Gomes, Rogerio Deienno et du célèbre Alessandro Morbidelli.


    Un documentaire sur le grand mathématicien Lagrange qui a posé les fondements de la mécanique céleste et de la physique théorique moderne. Ses travaux sont aujourd'hui utilisés par ceux qui chassent la neuvième planète du Système solaire, en supposant qu'elle existe. © Institut Henri Poincaré, YouTube

    De quoi s'agit-il ? Au moins depuis 1951, avec le grand astronome néerlandais Gerard Kuiper (celui de la fameuse ceinture de Kuiper, bien qu'il ne soit pas vraiment à l'origine de sa découverte), il existe une énigme avec l'inclinaison des plans orbitaux des planètes du Système solaire.

    On sait que selon le scénario de sa formation, il est né de l'effondrementeffondrement d'un nuagenuage moléculaire et poussiéreux en rotation. Il existait donc une force centrifugeforce centrifuge perpendiculaire à son axe de rotation et s'opposant à son effondrement. De quasi sphérique, le nuage est finalement devenu un disque protoplanétairedisque protoplanétaire où sont nées les planètes, avec un jeune Soleil en son centre. C'est de cette façon que les astronomes expliquent naturellement  pourquoi les plans des orbites sont quasiment coplanaires, et que les planètes tournent toutes dans le même sens, celui de la rotation de leur étoileétoile.

    La planète X perturberait l'inclinaison des plans des orbites des géantes

    Enfin presque... Les angles entre les plans orbitaux sont inférieurs à un degré, ce qui est conforme à ce à quoi on doit s'attendre, mais les angles que font ces plans avec celui passant par l'équateuréquateur du Soleil sont d'environ 6 degrés. Et ça, ce n'est pas normal selon les mécaniciens célestes.

    Ces plans orbitaux sont perpendiculaires au moment cinétiquemoment cinétique dû à la rotation de chaque planète et que l'on peut représenter par une flèche car c'est un vecteur. On peut construire un autre plan qui, lui, est perpendiculaire à la somme des moments cinétiques des planètes (dominés par ceux de JupiterJupiter, SaturneSaturne, Neptune et Uranus) et un de plus qui est perpendiculaire au moment cinétique du Soleil. En l'absence de forces extérieures, plus précisément de couples, ces deux plans devraient être confondus ou presque, et leur orientation devrait rester fixe. Le fait que ce ne soit pas le cas pointe donc vers l'influence d'une force supplémentaire hors du Système solaire.

    On pouvait faire intervenir dans un passé lointain le passage d'une étoile ou d'un nuage massif pas très loin du Système solaire qui, de par leurs perturbations gravitationnelles, auraient fait basculer le plan des orbites des planètes du Système solaire. Il est possible également de faire intervenir des forces de nature électromagnétique entre le Soleil en formation et le disque protoplanétaire. Toutefois, le couplage entre la gravité du Soleil et ses planètes aurait probablement dû restaurer une forte coplanarité des orbites et ne pas laisser une sorte de fossilefossile de ces événements pendant des milliards d'années.

    La conclusion à laquelle les chercheurs viennent d'arriver aujourd'hui, notamment en utilisant les travaux de Lagrange et Laplace sur la stabilité des orbites du Système solaire, est que la neuvième planète a précisément, potentiellement, toutes les caractéristiques nécessaires pour résoudre l'énigme de Kuiper. En effet, elle est censée se trouver sur une orbite inclinée par rapport au plan principal, associé aux orbites des planètes géantesplanètes géantes, et tourne bien au-delà de ces planètes avec une masse comparable à celle de Neptune. Elle peut ainsi exercer un couple sur les plans des orbites des autres planètes, ce qui conduit à les incliner par rapport au Soleil.