Après Francis Rocard, qui nous a brossé un bilan de la première année martienne de Curiosity, Futura-Sciences s'est entretenu avec Olivier Gasnault. Ce planétologue est celui qui tire au laser sur les roches martiennes ! Il est en effet le responsable des opérations de l'instrument ChemCam à qui nous devons bon nombre des découvertes réalisées par Curiosity.

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    Curiosity fête sa première année martienne. Et quelle année... Aujourd'hui, on sait que le cratère Gale a conservé des traces de l'habitabilité passé de Mars. Peut-être plus. Et cela nous le devons en grande partie à l'instrument ChemCam. Comme nous l'explique OlivierOlivier Gasnault, planétologue à l'Irap (CNRS, université de Toulouse - P. Sabatier), en charge des opérations scientifiques de ChemCam, cet instrument franco-états-unien est un des plus importants du rover CuriosityCuriosity.

    Cela, Sylvestre Maurice, le responsable de la partie française de ChemCam nous l'avait déjà expliqué. Cet instrument est le fruit d'une collaboration entre les chercheurs du Département de physico-chimie de la Direction de l'énergie nucléaire du CEA à Saclay et ceux de l'Institut de Recherche en Astrophysique et Planétologie (Irap) de Toulouse. Il a pour fonction de déterminer la composition élémentaire des roches et des sols jusqu'à une distance de 7 m grâce à un laserlaser.

    Ce procédé, appelé LIBS (en français spectroscopie de plasma induit par laser), consiste à utiliser un laser pour vaporiser le matériaumatériau à étudier, puis à analyser par spectrométriespectrométrie la lumièrelumière émise par le plasma ainsi créé pour en déterminer la composition chimique. Principal avantage, cela permet d'analyser la matièrematière à distance et sans contact. Aujourd'hui, ChemCam c'est 150.000 tirs sur 800 cibles qui sont autant d'indices sur l'histoire géologique et donc sur l'habitabilité passée du site.

    L'instrument Chemcam situé sur le mât du rover Curiosity. Juste en dessous de l'instrument, on peut voir les deux caméras de navigation (NavCam). © Nasa/JPL-Caltech/MSSS

    L'instrument Chemcam situé sur le mât du rover Curiosity. Juste en dessous de l'instrument, on peut voir les deux caméras de navigation (NavCam). © Nasa/JPL-Caltech/MSSS

    De l'eau sur Mars mais durant peu de temps

    Et sur cette question, les données de cet instrument ont des implications concrètes sur l’histoire de l’eau et le passé géologique de la planète à travers l'étude des roches sédimentairesroches sédimentaires et volcaniques en grand nombre sur le plancherplancher du cratère Gale. Mais si Curiosity a démontré que le site a été habitable dans un lointain passé, qui se mesure en milliards d'années, les scientifiques voudraient savoir plus précisément à quelle époque et pendant combien de temps.

    Concernant l'eau, Curiosity a mis en « évidence différents indices qui confirment la présence d'un ancien lac dans Yellowknife Bay et d'un ancien lit de rivière », résume Olivier Gasnault. Le rôle de ChemCam a consisté à déterminer l'origine des sédimentssédiments qui ont été transportées par ces eaux en analysant leur composition et déterminant leur parcours.

    Ces sédiments fluviolacustres sont le produit de l'érosion de roches volcaniquesroches volcaniques et viennent du bord du cratère et « typique de ce que l'on trouve autour du cratère Gale ». Ils ont été transportés puis déposés, et certains ont formé de nouvelles roches. Chose intéressante, s'il n'y a guère de doute sur le fait que ces matériaux ont interagi avec de l'eau à l'état liquideétat liquide, il apparaît qu'ils « n'ont pas eu un contact prolongé avec cette eau suffisant pour subir une transformation au cours de leur transport ».

    Il faut donc invoquer une seconde phase durant laquelle ces sédiments ont été altérés pour former les minérauxminéraux argileux qui ont été observés par les différents instruments au fond de ce qui a dû être un lac. ChemCam a aussi révélé la diversité chimique de petites structures (veines, nodules, rides) qui témoignent d'une seconde phase d'altération des roches. On a ainsi trouvé des roches fracturées emplies d'un matériel différent sous forme de veines blanches de sulfates de calciumsulfates de calcium. « C'est en quelque sorte le témoin de la fin des événements aqueuxaqueux qui ont formé le site que l'on observe. »

    Deux familles de roches martiennes

    En effet, dans le cratère Gale, « on trouve deux grandes familles de roches ». La première est celle de roches sédimentaires dont l'étude apporte des « indices forts sur l'histoire de l'eau et de l'habitabilité du site, à savoir la nature de l'environnement climatique et les conditions physico-chimique du milieu dans lesquelles elles se sont formées ». La seconde famille englobe les roches ignées liées au magmatisme dans la croûtecroûte ou au volcanismevolcanisme de surface. Dans ce cratère, « nous avons découvert des fragments de roches magmatiquesroches magmatiques assez évoluées » riches en siliciumsilicium, sodiumsodium et potassiumpotassium.

    C'est quelque chose d'assez original, « que l'on ne connaissait pas de Mars avant Curiosity ». Autrement dit, le volcanisme survenu dans le cratère Gale est différent de ce qui a été observé ailleurs sur Mars, au moins en partie. « Cela nous oblige notamment à réviser le modèle de la croûte martienne pour refléter une plus grande variété. »

    Une roche baptisée Liga. Sur la gauche, l'image de la caméra NavCam qui est utilisée pour choisir les cibles. Au milieu, l'image de la caméra couleur MastCam qui montre la poussière orangée que l'on trouve partout sur Mars et qui a été soufflée par les tirs au laser de ChemCam au centre, révélant la roche sous-jacente. À droite, l'image haute résolution de la partie télescope de ChemCam (il y a une échelle en bas à droite). © Nasa/JPL-Caltech/MSSS/CNES/CNRS/LANL/IRAP/IAS/LPGN

    Une roche baptisée Liga. Sur la gauche, l'image de la caméra NavCam qui est utilisée pour choisir les cibles. Au milieu, l'image de la caméra couleur MastCam qui montre la poussière orangée que l'on trouve partout sur Mars et qui a été soufflée par les tirs au laser de ChemCam au centre, révélant la roche sous-jacente. À droite, l'image haute résolution de la partie télescope de ChemCam (il y a une échelle en bas à droite). © Nasa/JPL-Caltech/MSSS/CNES/CNRS/LANL/IRAP/IAS/LPGN

    Donner du temps au temps

    L'étude de ces roches « permet de s'intéresser à l'histoire globale de Mars ». Les géologuesgéologues cherchent à comprendre les changements qui sont survenus entre chaque époque martienne, au nombre de trois. Il y a donc eu deux grandes phases de transition avec des changements très importants qui ont profondément modifié le climatclimat de la planète mais « sans que l'on sache s'ils ont été rapides ou non ». Dans l'histoire de la planète, ces transitions sont très importantes. Les comprendre peut « nous amener à faire des parallèles avec ce que l'on connaît de l'évolution des planètes telluriquesplanètes telluriques comme la Terre, MercureMercure et VénusVénus ».

    Au NoachienNoachien, d'une planète d'eau et habitable dans certaines régions, Mars est devenue (progressivement ?) une planète dominée par le volcanisme et un changement climatiquechangement climatique important à l'Hespérien. Aujourd'hui, à l'ère de l'Amazonien, la planète se caractérise par une oxydationoxydation par l'atmosphèreatmosphère et très peu d'activité géologique, voire pas du tout. Sur ce point, la mission InSightmission InSight devrait nous en dire plus.

    L'habitabilité n'impose pas seulement de l'eau et les bons éléments chimiqueséléments chimiques. « Il faut également du temps. » Et cette question est fondamentale. On ne sait pas de combien de temps la vie a besoin pour apparaître, on sait juste qu'elle en a besoin de beaucoup pour évoluer.

    Dans le cratère Gale, « nous savons que de l'eau à l'état liquide s'est écoulée et qu'il y a eu les bons éléments chimiques et le bon environnement ». Il reste à déterminer combien de temps le site est resté habitable. En effet, les écoulements peuvent être dus « à une cause événementielle, comme un réchauffement souterrain qui fait effondrer un glacierglacier, par exemple ». Dans ce cas, l'eau coule puis disparaît très rapidement. Dans ces conditions, la vie ne peut évidemment pas émerger et encore moins perdurer.

    Les strates du mont Sharp que doit étudier Curiosity. © Nasa/JPL

    Les strates du mont Sharp que doit étudier Curiosity. © Nasa/JPL

    L'espoir donné par les couches stratifiées du mont Sharp

    En revanche, si Curiosity découvre des évidences, à travers les minéraux observés, qu'il y a eu « plusieurs épisodes d'écoulement d'eau, qu'ils se sont prolongés dans le temps et que des réactions chimiquesréactions chimiques ne se sont pas faites trop rapidement donc dans un milieu pas trop acideacide », alors cela indique un milieu plus favorable à l'habitabilité.

    La deuxième partie de la mission pourrait nous en apprendre plus, beaucoup plus. Le rover se dirige en direction du mont Sharp et ses stratesstrates qui « sont susceptibles de nous renseigner sur l'époque à laquelle le site a été habitable ». Les sondes en orbiteorbite autour de la planète ont montré la présence d'un empilement de strates de toutes sortes qui « sont autant de successions d'époques martiennes ». De bas en haut, on trouve des strates de minéraux hydratés, des strates d’argiles, des strates d'oxyde de ferfer, et plus haut des smectites et des sulfates. Un livre ouvert sur l'histoire minéralogique de la planète Mars en quelque sorte.

    Pour les géologues, le fait d'avoir des couches qui correspondent à une échelle de temps « va permettre de confirmer si ce que l'on observe depuis le début de la mission a une étendue géographique plus importante que le petit bassin dans lequel se trouvait Curiosity ».