Au Cern, les membres de la collaboration Base (Baryon Antibaryon Symmetry Experiment) tentent de découvrir des différences entre particules de matière et d'antimatière, une des clés de la cosmologie et de la physique fondamentale. Ils viennent d'obtenir des résultats inédits concernant la comparaison des moments magnétiques des protons et des antiprotons et la façon dont la gravité pourrait affecter de manière différente la matière et l'antimatière.


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    Le Cern est expert depuis des décennies dans la production et surtout le stockage pendant de longues durées d'antiprotons. Cela lui permet de faire de nombreuses expériences pour tenter de percer certaines des énigmes liées à la découverte de l'antimatière, comme le montre la vidéo ci-dessus qui mentionne par exemple Alpha et Aegis. Elle montre et explique également que les antiprotons sont produits à partir de noyaux d'hydrogène accélérés par le Synchrotron à protons et envoyés sur une cible fixe où les collisions avec d'autres noyaux vont créer de nouvelles particules. Le modèle standardmodèle standard de la physiquephysique des hautes énergiesénergies nous dit qu'autant de matièrematière que d'antimatière devait avoir été produite pendant le Big BangBig Bang alors que les particules les composant - les fermionsfermions et les leptonsleptons - étaient plongées dans un bain de photonsphotons et d'autres particules médiatrices de forces, y compris les fameux bosonsbosons de Brout-Englert-Higgs.

    Ce mélange était à très hautes températures de sorte que chacune de ces particules participait à des réactions de création et d'annihilation des autres. Mais lorsque l'expansion de l'espace a fait baisser la température, les annihilations ont pris le dessus sur les créations et toujours selon le modèle standard, les particules de matière et d'antimatière auraient dû disparaître en se combinant, ne laissant plus que des photons. Ce n'est évidemment pas le cas.

    Il doit donc exister des différences entre les réactions possibles avec des particules de matière et celles avec des particules d'antimatière, différence que les physiciensphysiciens et notamment ceux du Cern traquent avec des antiparticulesantiparticules et même des anti-atomes d’hydrogène. Futura a consacré de nombreux articles aux expériences menées par le Cern à ce sujet, comme le montrent les précédents articles ci-dessous qui parlaient déjà de Base (BaryonBaryon Antibaryon Symmetry Experiment).

    On ne va pas reprendre les explications données dans ces précédents articles, mais on peut rappeler qu'avec Base il s'agit de tenter de découvrir des différences de comportement entre des protonsprotons et des antiprotons plongés dans un champ magnétiquechamp magnétique. Il ne devrait pas y en avoir si le modèle standard est exact et notamment selon certaines prédictions d'un théorèmethéorème très général que doivent vérifier toutes les théories quantiques relativistes des champs de façon fondamentale.

    Mais, aujourd'hui, les membres de la collaboration Base viennent de faire savoir via un article publié dans la revue Nature qu'en poussant plus loin la précision des mesures qu'ils peuvent faire, ils ont atteint la sensibilité nécessaire pour poser de nouvelles contraintes sur le comportement de l'antimatière, en l'occurrence des antiprotons, dans un champ de gravitationgravitation.


    Base est l'une des expériences de l'usine d'antimatière du Cern. Le tournage vidéo commence par une vue aérienne (par drone) du bâtiment de l'usine d'antimatière vu de l'extérieur (00'01'') ; le vol se poursuit à l'intérieur au-dessus de la zone expérimentale avec un aperçu des expériences Alfa et Asacusa (00'13'') ; enfin, le drone survole l'expérience Base (00'19''), où l'on peut voir le porte-parole Stefan Ulmer (00'25'') insérer un indicateur de niveau d'azote à l'intérieur du cryostat de Base. Cette sonde est utilisée pour mesurer le niveau d'azote dans le récipient. Base utilise de l'azote liquide et de l'hélium liquide pour garder son piège de Penning froid, ce qui est nécessaire pour empêcher ses anti-protons de s'annihiler. © Cern

    Un test à 16 millionièmes de millionièmes de la symétrie matière-antimatière

    Les chercheurs ont en effet mesuré avec une précision inégalée les rapports entre la charge électrique et la massemasse (rapport charge sur masse) pour le proton et l'antiproton. Les résultats montrent que ces rapports sont identiques pour le proton et l'antiproton dans les limites d'une incertitude expérimentale de 16 millionièmes de millionièmes, comme l'explique un communiqué du Cern où Stefan Ulmer, porteporte-parole de l'expérience Base, précise même que « ce résultat représente le test direct le plus précis d'une symétrie fondamentale entre matière et antimatière réalisé avec des baryons  ̶ particules composées de trois quarksquarks  ̶ et leurs antiparticules ».

    Mais, ce qui est donc vraiment intéressant, c'est que les chercheurs ont pu prendre en compte d'éventuels effets du champ de gravitation non seulement de la Terre mais aussi des variations de ce champ alors que la Terre est en orbiteorbite à distances variables du SoleilSoleil. Les mesures obtenues pouvaient donc trahir indirectement un comportement différent d'un antiproton comme celui que l'on cherche à déterminer directement dans d'autres expériences en se demandant si un atomeatome d'antihydrogène tombe de la même manière qu'un atome d'hydrogène dans un champ de gravitation. Pouvait-on même voir des effets qui seraient des manifestations de ce que l'on pourrait appeler de l'antigravité avec de l'antimatière ?

    De décembre 2017 à mai 2019, les physiciens de Base ont donc mené plus de 24.000 expériences, chacune d'une durée de 260 secondes consistant à mesurer un mouvementmouvement cyclique particulier dans un champ magnétique présent dans un piège de particules très performant appelé piège de Penning. Ce mouvement affectait soit des antiprotons, soit des ionsions négatifs d'hydrogène (donc un atome d'hydrogène avec deux électronsélectrons) et exhibait une fréquencefréquence proche de ce que l'on appelle la fréquence cyclotroncyclotron, qui est proportionnelle à l'intensité du champ magnétique du piège et au rapport charge sur masse de la particule étudiée.

    Toutes différences mesurables entre les deux fréquences indiqueraient une différence entre matière et antimatière et cette fois-ci entre le comportement des deux types de matière dans un champ de gravitation qui devrait être identique selon ce que l'on appelle le « principe d'équivalence faible » de la théorie de la relativité générale.

    Les expériences n'ont rien montré dans les limites des incertitudes expérimentales et en ce qui concerne donc le champ de gravitation, une nouvelle borne à des violations du principe d'équivalence pour l'antimatière a été obtenue que commente Stefan Ulmer en ces termes : « Cette limite est comparable à la précision initialement visée par les expériences étudiant la chute de l'antihydrogène dans le champ gravitationnel de la Terre. L'expérience Base n'étudie pas directement la chute de l'antimatière dans le champ gravitationnel de la Terre, mais notre mesure de l'influence de la gravitégravité sur une particule d'antimatière baryonique est très similaire sur le plan conceptuel, et elle ne fait apparaître aucune anomalieanomalie dans l'interaction entre l'antimatière et la gravité au niveau d'incertitude atteint. ».


    Antimatière : le Cern planche toujours sur une énigme de la cosmologie

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 23/01/2017

    Au Cern, les membres de la collaboration Base (Baryon Antibaryon Symmetry Experiment) tentent de découvrir des différences entre particules de matière et d'antimatière, une des clés de la cosmologiecosmologie et de la physique fondamentale. Ils viennent d'obtenir des résultats six fois plus précis concernant la comparaison des moments magnétiquesmoments magnétiques des protons et des antiprotons via leurs facteurs de Landé.

    Le modèle standard en physique des particules a été spectaculairement vérifié une fois de plus et avec un niveau de précision supplémentaire dans les expériences menées au LHCLHC. La découverte puis l'étude des propriétés du boson de Brout-Englert-Higgs sont bien sûr emblématiques de la solidité de ce modèle, mais pour les physiciens des hautes énergies, ce qui l'est vraiment, c'est probablement l'efficacité avec laquelle la théorie quantique relativiste des champs du modèle standard permet de calculer ce qui se passe dans les collisions entre protons et les gerbes de nouvelles particules produites dans les détecteurs comme Atlas, CMS, Alice et LHCb.

    Mais paradoxalement, elle ne permet pas de comprendre vraiment pourquoi l'universunivers observable est constitué de façon écrasante de matière. Appliqué au Big Bang, le modèle standard nous dit en effet que nous devrions trouver autant de matière que d'antimatière autour de nous. Ce n'est évidemment pas le cas et nous ne constatons pas un intense rayonnement gamma, qui serait le produit de leur annihilation, baignant tout l'univers. 


    Une présentation du Cern en 4 minutes. © Cern

    Il s'agit d'une des plus grandes énigmes de la cosmologie. Or lorsqu'un raisonnement logique conduit à des résultats en contradiction avec l'expérience alors qu'il a été mené sans faute, c'est qu'il faut modifier les hypothèses de base. En l'occurrence, les physiciens pensent qu'il devrait y avoir de subtiles différences entre les particules de matière et celles d'antimatière. Pour cela, ils les traquent en mesurant certaines quantités physiques associées aux protons et aux antiprotons, par exemple dans le cadre de l'expérience Base (Baryon Antibaryon Symmetry Experiment) au Cern, dont Futura-Sciences avait déjà rapporté les précédents résultats (voir article ci-dessous). Les chercheurs du Cern ont poussé leurs investigations un cran plus loin comme ils l'expliquent dans un article publié dans Nature Communications.

    Des facteurs de Landé identiques pour protons et antiprotons

    Normalement, notamment en raison du théorème CPTthéorème CPT en théorie quantique des champs, il ne devrait pas y avoir de différences entre ce que l'on appelle le moment magnétique des protons et celui des antiprotons. Ce moment dépend du rapport de la charge électrique sur la masse des particules, mais aussi du produit de cette quantité par un facteur noté g. C'est une généralisation d'une grandeur introduite en physique atomique en 1921 par Alfred Landé, un physicien germano-américain.

    Si les deux rapports étaient différents, et cela même si cette distinction n'apparait qu'à la énième décimale, cela constituerait une révolution en physique non seulement parce qu'elle nous rapprocherait de la solution de l'énigme de l'antimatière en cosmologie, mais qu'elle saperait une des bases du modèle standard les plus fondamentales. Il faudrait en effet revoir la théorie de la relativité restreinterelativité restreinte.

    Hélas, les mesures n'ont pour le moment pas montré un tel écart même si elles ont été améliorées d'un facteur 6. Mais selon les chercheurs, qui vont mettre en pratique une nouvelle technique pour raffiner ces mesures, ils devraient pouvoir obtenir une amélioration d'un facteur 200 à 800 dans un avenir proche, c'est-à-dire atteindre une précision de l'ordre de quelques milliardièmes pour la mesure du facteur g.

    Cependant cela ne sera guère facile. Pour mener à bien l'expérience précédente, les chercheurs avaient déjà dû piéger des antiprotons formant un gazgaz proche du zéro absoluzéro absolu (environ 1 kelvinkelvin) pendant plus d'un an. Une sorte de bouteille magnétique était nécessaire car ces antiprotons ne devaient pas entrer en contact avec des protons sans quoi ils se seraient annihilés ensemble.


    Le Cern sur la trace des différences entre matière et antimatière

    Article de Laurent Sacco publié le 18/08/2015

    Au Cern, les membres de la collaboration Base (Baryon Antibaryon Symmetry Experiment) tentent de découvrir des différences entre particules de matière et d'antimatière, une des clés de la cosmologie et de la physique fondamentale. Ils viennent d'obtenir des résultats quatre fois plus précis concernant la comparaison des moments magnétiques des protons et des antiprotons.

    Voilà des décennies que les cosmologistes et les physiciens des hautes énergies essaient de résoudre une grande énigme de la cosmologie, celle de l'asymétrie matière-antimatière. En effet, les lois du modèle standard sont formelles : lorsque se crée une particule de matière, il doit aussi se créer une particule d'antimatière (l'antiparticule de la particule qui vient de naître). Protons et antiprotons, électrons et positronspositrons doivent donc apparaître par paires dans des processus à hautes énergies comme ceux qui ont accompagné le Big Bang juste après le temps de Plancktemps de Planck. Or, l'univers observable contient, en une proportion écrasante, essentiellement des particules de matière. Où est donc passée l'antimatière manquante ?

    De nombreuses hypothèses ont été avancées pour tenter de répondre à cette question. Peut-être que matière et antimatière se repoussent du fait d'un effet d'antigravité. Nous n'avons aucune preuve de l'existence d'un tel effet qui aurait pu séparer le cosmoscosmos en deux régions dont l'une contient de la matière et l'autre de l'antimatière. Mais peut-être finirons-nous par en avoir une car les chercheurs du Cern sont sur sa piste.

    Il se pourrait aussi qu'en raison de lois physiques qui nous sont inconnues, matière et antimatière ne se comportent pas exactement de la même manière à hautes énergies. Selon certaines théories de grande unificationthéories de grande unification (GUT), un peu plus de matière que d'antimatière aurait ainsi été créée. Après annihilation, un léger excès de matière aurait alors produit le matériaumatériau de base des atomes dans l'univers observable. Autre explication possible, l'une des symétries fondamentales des équationséquations de la théorie des champs quantiques relativistes du modèle standard  serait fausse, plus précisément, ce serait le théorème CPT qui serait faux. Là aussi, cela impliquerait qu'un peu plus de matière que d'antimatière a été produit.

    De gauche à droite, Emilio Segrè, Clyde Wiegand, Edward Lofgren, Owen Chamberlain et Thomas Ypsilantis, les membres de l'équipe qui a découvert l'antiproton en 1955. © <em>Lawrence Berkeley National Laboratory</em>
    De gauche à droite, Emilio Segrè, Clyde Wiegand, Edward Lofgren, Owen Chamberlain et Thomas Ypsilantis, les membres de l'équipe qui a découvert l'antiproton en 1955. © Lawrence Berkeley National Laboratory

    C'est une hypothèse assez extrême mais fascinante de par ses conséquences. On peut montrer en effet que, par exemple, si des différences entre un proton et un antiproton étaient mises en évidence sous la forme d'une violation de ce théorème, cela impliquerait que la théorie de la relativité restreinte d'EinsteinEinstein soit fausse. On pourrait donc imaginer des transmissions d'informations plus rapides que la lumièrelumière et c'est peut-être ce qui se produit dans les expériences avec le paradoxe EPR.

    Un piège de Penning pour tester la symétrie CPT

    Depuis plusieurs années, au Cern, des expériences sont menées avec les antiprotons et les atomes d'antihydrogène pour tenter de découvrir des violations de la symétrie CPT. Les derniers résultats de l'une d'entre elles, BASE (Baryon Antibaryon Symmetry Experiment), viennent d'être rendus publics dans un article publié dans Nature.

    Il s'agissait d'évaluer les moments magnétiques des protons et des antiprotons, ce qui revient pour chacun d'eux à déterminer leur rapport charge sur masse. Pour cela, les physiciens ont utilisé de nouvelles méthodes qui leur ont permis d'obtenir des résultats plus précis que précédemment et de manière plus rapide. Elles font toutefois usage d'un élément déjà employé dans ce type de recherche, le piège de Penning. Il s'agit d'un piège à ions permettant de stocker des particules chargées, grâce à la combinaison d'un champ magnétique uniforme et d'un champ électriquechamp électrique quadripolaire constant. C'est le physicien néerlandais F. M. Penning qui a eu l'idée originale de ce piège en 1936. Le physicien américain et prix Nobel Hans Dehmelt l'a mise en pratique en créant un dispositif particulièrement bien adapté à la mesure précise des propriétés des ions et des particules subatomiques stables possédant une charge électrique.

    Wolfgang Pauli en pleine discussion sur les théories relativistes de champs unifiés avec Pascual Jordan en 1955 à Hambourg. Pauli a donné la première démonstration du théorème CPT. Des observations de sa violation avec l'antihydrogène ouvriraient une ère nouvelle en physique théorique et en cosmologie. © Cern
    Wolfgang Pauli en pleine discussion sur les théories relativistes de champs unifiés avec Pascual Jordan en 1955 à Hambourg. Pauli a donné la première démonstration du théorème CPT. Des observations de sa violation avec l'antihydrogène ouvriraient une ère nouvelle en physique théorique et en cosmologie. © Cern

    Dans l'expérience BASE, des protons mais aussi des ions négatifs de l'hydrogène, c'est-à-dire avec un électron supplémentaire, ont été utilisés.

    Stefan Ulmer, le porte-parole de BASE, a finalement résumé les résultats obtenus de la façon suivante : « Nous avons observé un rapport charge sur masse identique pour ces deux particules, avec une précision de 69 parties par mille milliards, ce qui vient étayer l'hypothèse d'une symétrie fondamentale entre matière et antimatière ».

    Aucune trace d'une nouvelle physique n'est donc encore apparue mais, selon Rolf Heuer, l'actuel directeur général du Cern auquel succédera bientôt Fabiola Gianotti« Les recherches menées sur des particules d'antimatière ont fait des progrès exceptionnels ces dernières annéesJe suis vraiment impressionné par le niveau de précision atteint par BASE. C'est très prometteur pour l'ensemble de ce domaine de recherche ».