Les anomalies de gravité de la Lune, découvertes il y a presque 50 ans par les sondes russes et américaines de la mission Grail, divisaient les planétologues quant à leur origine exacte. Il semble bien que l’analyse des données, combinées à des simulations sur ordinateur, ait permis à des chercheurs de résoudre l’énigme de ces phénomènes, appelés mascons lunaires.

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    Le 3 avril 1966, la dixième sonde soviétique du programme Luna devenait le premier engin spatial lancé par l'humanité à se mettre en orbite autour d'un astre autre que la Terre. Lunik-10, plus connue en Occident sous le nom de Luna-10, resta 56 jours en orbite autour de la Lune avant que ses batteries ne s'épuisent. Les données qu'elle eut le temps de transmettre à la Terre concernaient, entre autres, le champ magnétique de notre satellite.

    Or, tant les mécaniciens célestes que les navigateursnavigateurs chargés de la mission avaient découvert de probables anomaliesanomalies dans le champ de gravité de la Lune. La trajectoire initialement prévue de Luna-10 était perturbée. Cela pouvait s'expliquer par l'existence de régions lunaires où régnaient des champs de gravité plus forts, ou plus faibles, que ce que l'on attendait. Des effets similaires avaient déjà été repérés sur Terre par des satellites en orbite.


    Plus de 40 ans séparent la première sonde en orbite autour de la Lune, Luna-10, et ces images de la sonde japonaise Kaguya. On voit ici le cratère Anaxagore, du nom du célèbre philosophe grec. © jaxachannel, YouTube, Jaxa NHK

    Des mascons aussi sur Mars mais pas sur Terre

    Ces anomalies furent étudiées de façon plus précise à l'aide de cinq sondes Lunar Orbiter des missions américaines destinées à préparer le programme Apollo. En 1968, des chercheurs de la NasaNasa, Paul Muller et William Sjogren annoncèrent au monde qu'ils avaient trouvé ce qu'on appelle encore aujourd'hui des mascons (pour mass concentration en anglais), c'est-à-dire des régions lunaires où la densité sous la surface était anormalement élevée.

    De telles anomalies furent remarquées par la suite sur Mars et Mercure. Or, il n'en existe pas sur VénusVénus ni sur la Terre, car ces planètes sont géologiquement actives, l'incessante convectionconvection au sein de leurs manteaux tendant à homogénéiser leur structure interne.


    Ces images prises par la sonde japonaise Kaguya montrent le bassin Freundlich-Sharanov et divers cratères comme celui de Buys-Ballot, sur la face cachée de la Lune. Sous cette région se trouve un mascon. © jaxachannel, YouTube, Jaxa NHK

    On a rapidement tenté d'expliquer l'origine de ces mascons, mais plusieurs difficultés dans les diverses théories avaient jusqu'ici empêché l'émergenceémergence d'un consensus. Il semblait cependant clair que leur existence devaient probablement être liée aux impacts de petits corps célestes comme des comètescomètes ou des astéroïdes. On attendait beaucoup des mesures précises du champ de gravitationgravitation de la Lune à l'aide de la mission Gravity Recovery and Interior Laboratory (Grail).

    La mission Grail a fourni des mesures précises du champ de gravité de la Lune. La carte que l'on a pu dresser grâce à ces données montre clairement des cercles, dans des zones de forte densité avec un champ de gravité plus élevé que la moyenne (en rouge). Les anomalies du champ de gravité lunaire sont représentées ici en couleur avec des valeurs pour ces anomalies en milligal (mGal). Rappelons que le gal (symbole Gal) est une unité CGS d'accélération égale à 1 cm/s<sup>2</sup>, soit 0,01 m/s<sup>2</sup>, utilisée pour exprimer l'accélération de la pesanteur en géodésie et en géophysique sur Terre mais aussi sur d'autres planètes. © Nasa

    La mission Grail a fourni des mesures précises du champ de gravité de la Lune. La carte que l'on a pu dresser grâce à ces données montre clairement des cercles, dans des zones de forte densité avec un champ de gravité plus élevé que la moyenne (en rouge). Les anomalies du champ de gravité lunaire sont représentées ici en couleur avec des valeurs pour ces anomalies en milligal (mGal). Rappelons que le gal (symbole Gal) est une unité CGS d'accélération égale à 1 cm/s2, soit 0,01 m/s2, utilisée pour exprimer l'accélération de la pesanteur en géodésie et en géophysique sur Terre mais aussi sur d'autres planètes. © Nasa

    Les mascons, une clé pour comprendre la Terre primitive

    Ces mesures n'ont pas déçu, comme le prouve un article publié dans Science. Les données gravimétriques de Grail ont permis au chercheurs d'examiner de plus près certains mascons, comme celui du bassin de Freundlich-Sharanov, survolé il y a quelques années par Kaguya. Si les images de la sonde japonaise ne laissent pas soupçonner la présence de ces anomalies, elles existent bel et bien sous la surface de la Lune.

    En combinant les données de Grail avec des simulations numériquessimulations numériques sur ordinateurordinateur, les scientifiques pensent avoir compris ce qui s'est passé lors de la formation de ces mascons, il y a des milliards d'années. La structure présentant des anneaux où les densités varient de façon caractéristique s'explique ainsi par des impacts de comètes ou de grands astéroïdesastéroïdes, à une époque où l'intérieur de la Lune était plus chaud.

    Selon l'un des auteurs de l'étude, Jay Melosh, de la Purdue University (West Lafayette, États-Unis) : « Ce que nous avons appris sur les mascons signifie que nous commençons enfin à comprendre les conséquences géologiques des grands impacts. Notre planète a subi des impacts similaires dans son passé lointain, et ce que nous savons maintenant au sujet des mascons nous permettrait d'en savoir plus sur la Terre primitive : comment la tectonique des plaques a démarré, et l'origine des premiers gisementsgisements de mineraiminerai ».