Comment s’est formée la Terre ? Une nouvelle étude vient rebattre les cartes en suggérant que les planètes rocheuses du Système solaire ne se sont pas formées par accrétion homogène de petits astéroïdes mais au contraire à l’issue de la collision d’imposants planétésimaux.


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    Si les archives géologiques nous permettent de remonter le temps jusqu'aux premiers temps de l’histoire de notre Planète et ainsi de comprendre son évolution, il existe très peu de traces témoignant de la formation même de la Terre.

    Les données à notre disposition sont forcément indirectes et mènent souvent à des hypothèses variées. S'il est clair aujourd'hui que la Terre s'est formée à partir du matériel disponible dans la nébuleuse solaire et que des petits corps rocheux de types comètes et astéroïdes ont participé à sa croissance, le détail de ce processus est encore mal connu.

    Une composition terrestre qui n’est pas expliquée par la théorie actuelle

    Jusqu'à présent, la théorie dominante supposait que la Terre s'était formée par accrétion de petits corps composés de roches et de métalmétal, nommés chondriteschondrites, formés très tôt dans l'histoire du Système solaireSystème solaire. Le problème est que cette théorie ne permet pas d'expliquer la composition exacte de la Terre, qui apparaît être particulièrement pauvre en éléments légers comme l'hydrogènehydrogène et l'héliumhélium. Les scientifiques ont tenté d'expliquer cette « anomalieanomalie » de composition par diverses hypothèses comme, par exemple, le fait que les collisions tardives avec la Terre ont produit d’énormes quantités de chaleur ayant littéralement vaporisé les éléments légers. Une explication non convaincante pour Paolo Sossi de l'ETH Zurich qui a dirigé une nouvelle étude publiée dans Nature Astronomy.

    Les chondrites sont des petits corps rocheux et métalliques ayant participé à la construction de la planète. © Didier Descouens, Wikimedia Commons, CC by-sa 4.0
    Les chondrites sont des petits corps rocheux et métalliques ayant participé à la construction de la planète. © Didier Descouens, Wikimedia Commons, CC by-sa 4.0

    Une équipe de chercheurs vient en effet de proposer un nouveau scénario, basé sur des résultats obtenus à partir d'expériences en laboratoires et de simulations numériquessimulations numériques.

    Une accrétion d’imposants planétésimaux au lieu d’une pluie de petits astéroïdes

    Les modèles dynamiques obtenus suggèrent que les planètes du Système solaire se seraient formées de manière très progressive et non par une « pluie » continue de petits astéroïdes. Pour les chercheurs, les petits grains se seraient d'abord accumulés pour former une multitude de corps plus imposants, de quelques kilomètres de diamètre, appelés planétésimaux. Ces planétésimaux se seraient ensuite accrétés entre eux pour former des embryonsembryons planétaires, dont celui de la Terre. Cette théorie diverge de celle actuellement en vigueur par le fait que contrairement aux chondrites, les planétésimaux auraient, au cours de leur formation, emmagasiné suffisamment de chaleurchaleur interne pour initier un processus de différenciation, les éléments lourds et métalliques migrant vers le centre pour former un noyau, les éléments plus légers restant sur la partie extérieure pour former un manteau rocheux. Cette différenciation n'existe pas chez les chondrites, qui sont des corps bien trop petits pour subir ce genre de processus.

    La Terre serait le résultat de la collision de nombreux planétésimaux ayant déjà subi une différenciation des éléments lourds et légers. © T. Pyle, Nasa, JPL-Caltech
    La Terre serait le résultat de la collision de nombreux planétésimaux ayant déjà subi une différenciation des éléments lourds et légers. © T. Pyle, Nasa, JPL-Caltech

    Un modèle qui explique la composition des différentes planètes rocheuses

    De plus, tous les planétésimaux n'auraient pas été semblables les uns aux autres. Leur composition aurait en effet fortement varié en fonction de leur zone de formation et notamment de l'éloignement du jeune soleilsoleil. Les simulations numériques montrent que ces milliers de planétésimaux seraient ensuite entrés en collision pour former les différentes planètes rocheuses du Système solaire : MercureMercure, VénusVénus, la Terre et Mars. La composition de la Terre serait particulièrement bien expliquée par la collision de planétésimaux provenant de diverses zones du Système solaire.

    Cette étude permet notamment d'expliquer pourquoi la composition de Mercure, la planète la plus proche du Soleil, diffère des trois autres planètes rocheusesplanètes rocheuses. Elle devrait également s'avérer très utile pour prédire la composition d'exoplanètesexoplanètes rocheuses orbitant autour d'étoilesétoiles lointaines.  


    Faut-il revoir la théorie de la formation de la Terre ?

    La théorie dominante de la formation de la Terre est celle de l'accrétion homogène. Ces dernières années, de nouveaux éléments incitent les planétologues à réhabiliter, au moins en partie, une théorie concurrente, celle de l'accrétion hétérogène. Une récente publication va dans ce sens.

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco publié le 17 mai 2010

    La théorie de la formation des planètes n'est pas qu'une affaire de mécanique céleste et de physiquephysique, c'est aussi une question de chimiechimie - de cosmochimie pour être précis. Dans ce cadre, la formation de la Terre avait été étudiée essentiellement à l'aide de deux modèles au cours du XXe siècle. Ces derniers reposent sur ce que l'on sait de la structure différentiée de la planète (avec un noyau ferreux, un manteau, un croûtecroûte, une hydrosphèrehydrosphère et une atmosphèreatmosphère) et les données issues des analyses des météoritesmétéorites et des roches lunaires.

    Dans le cadre de la théorie de l'accrétion, on part initialement d'une nébuleuse protosolaire froide riche en gazgaz et en poussières, comme celles qu'observe actuellement Herschel. Un proto-Soleil se forme, entouré d'un disque dans lequel des embryons de planètes apparaissent en accrétant de la matièrematière. Au sein de ce disque existe un gradientgradient chimique et thermique, les matériaux se condensant d'autant plus loin du Soleil qu'ils sont volatils. C'est pourquoi de la glace ne peut exister que loin du Soleil.

    Pour la suite de l'histoire de la formation de la Terre, deux théories s'affrontent : celle de l'accrétion homogène et celle de l'accrétion hétérogène. Dans le cadre de la seconde, la structure de la Terre est presque aussi vieille que la planète elle-même car ce sont d'abord les éléments les plus lourds et les matériaux les moins volatils qui s'agglomèrent les premiers. C'est pourquoi le cœur formé essentiellement de ferfer et de nickelnickel apparaît d'abord, suivi rapidement d'un manteau silicaté et, peu de temps après, d'une atmosphère.

    Selon la théorie adverse, la Terre se forme d'abord à partir d'un matériaumatériau chondritique plutôt homogène, c'est-à-dire de météorites et de planétésimaux. Elle ne se différentie qu'ensuite, en moins de cent millions d'années. Ce modèle de l'accrétion homogène est assez rapidement devenu dominant après la fin des missions Apollo.

    Ces dernières années cependant, certains ont proposé que l'accrétion ne pouvait pas être intégralement homogène. En effet, expliquent-ils, la différenciation des petits corps célestes ultérieurement accrétés pendant ces cent millions d'années s'est elle aussi produite pendant une certaine duréedurée. De plus, le modèle de dégazagedégazage du manteau censé expliquer l'origine de l'atmosphère et des océans terrestres perd du terrain depuis quelques années. L'eau des océans serait ainsi venue de l'espace.

    La preuve par l'argent

    Une publication récente dans Science vient d'apporter une pièce de plus au dossier d'une réhabilitation, au moins partielle, du modèle de l'accrétion hétérogène. Richard Carlson et ses collègues Maria Schönbächler, Erik Hauri, Mary Horan et Tim Mock se sont intéressés à de petites variations des abondances des isotopesisotopes de l'argentargent dans les météorites et les roches terrestres.

    L'argent se présente sous la forme de deux isotopes stables. L'un, l'argent 107, est la trace d'un radioélément éteint, le palladiumpalladium 107. Très instable, celui-ci s'est transformé en argent 107 en moins de 30 millions d'années au début de la formation du Système solaire. Or, le palladium est moins volatil que l'argent et a de ce fait tendance à se lier plus facilement avec le fer. On peut donc se servir des traces laissées par cette radioactivitéradioactivité éteinte pour estimer à quel point le matériau à l'origine de la Terre était riche en éléments volatils.

    Or, manteau terrestremanteau terrestre et météorites primitives présentent des rapports 107Ag/109Ag très proches. Une partie non négligeable de la Terre provient donc de l'accrétion d'un matériau contenant des quantités non négligeables d'éléments volatils alors que ce n'est plus le cas actuellement (la Terre manque d'hydrogène, de carbonecarbone et d'azoteazote par exemple).

    Ce rapport entre surtout en contradiction avec l'estimation de la datation de la formation du cœur de la Terre avec les isotopes de tungstènetungstène et de hafniumhafnium qui indiquent une durée comprise entre 30 et 100 millions d'années. En effet, les isotopes de l'argent conduisent, eux, à un âge de 5 à 10 millions d'années.

    Pour les cosmochimistes, une bonne façon de réconcilier ces données est de supposer que 85 % de la massemasse de la planète provient de l'accrétion de matériaux pauvres en éléments volatils, qui se sont accumulés les premiers. Cette phase aurait été suivie d'une période d'accrétion de matériaux riches en éléments volatils, similaires à ceux des chondrites primitives mais pas nécessairement identiques. Cela revient donc à faire revivre la théorie de l'accrétion hétérogène.

    En fait, ces observations seraient compatibles, d'après les chercheurs, avec la collision entre la proto-Terre et ThéiaThéia, à l'origine de la formation de la LuneLune dans la théorie actuellement en vogue. Théia aurait apporté en une seule fois l'essentiel des matériaux riches en éléments volatils.