Une combinaison unique d'observations réalisées par les plus grands télescopes du monde a permis de débusquer le plus lointain amas de galaxies de l'univers jamais observé. C’est la première fois qu’une telle structure, captée au moment de sa formation, est détectée aussi loin, alors que l'univers n’avait « que » 2,5 milliards d’années.

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    Pour comprendre l'histoire de la formation et de l'évolution de l’univers, les astronomesastronomes sont contraints de repousser sans cesse les limites de l'observation pour découvrir les premiers objets. C'est ce que vient de réaliser une collaboration internationale dirigée par des chercheurs du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) qui a découvert le plus lointain amas de galaxies jamais observé. Il a été vu au moment de sa formation, alors que l'univers était âgé de 2,5 milliards d'années.

    Cela peut paraître vieux pour un premier objet, mais il faut savoir que, selon le scénario accepté de formation hiérarchique des structures, ces amas se seraient formés en dernier, après les étoiles puis les galaxies. Pour les cosmologistes, cet amas de galaxies à cela d'intéressant qu'à la différence des autres amas déjà observés, il dénote un très fort taux de formation d’étoiles, preuve qu'il a été découvert juste après sa naissance.

    Jusqu'à présent, les galaxies appartenant à des amas étaient généralement observées « mortes », ne formant plus de nouvelles générations d'étoiles. Dans cet amas, au contraire, les galaxies forment leurs étoiles au rythme très élevé de plusieurs centaines par an, ce qui permet d'étudier comment les galaxies se transforment en « société », lorsqu'elles sont constituées en amas de galaxies. 

    Chaque point sur l’image représente une galaxie avec ses centaines de milliards d’étoiles, les plus rouges sont aussi les plus lointaines. © CEA

    Chaque point sur l’image représente une galaxie avec ses centaines de milliards d’étoiles, les plus rouges sont aussi les plus lointaines. © CEA

    Au-delà de la portée scientifique de cette découverte (qui devrait permettre aux cosmologistes d'étudier l'organisation de l'univers peu après le Big BangBig Bang et la façon dont il s'est structuré durant sa jeunesse), la performance est aussi d'avoir mis à contribution six des plus puissants télescopestélescopes spatiaux et terrestres du monde (IRAM-NOEMA, JVLA, ChandraChandra, ALMA, VLTVLT et HST).

    David Elbaz, directeur de recherche au service AstrophysiqueAstrophysique de l'Institut CEA-Irfu et Tao Wang, le principal auteur de l'étude « DiscoveryDiscovery of a galaxy clustercluster with a violently starbursting core at z = 2:506 » (publié dans The Astrophysical Journal), répondent à nos questions.

    Comment organise-t-on une campagne d’observation avec autant de télescopes ?

    David Elbaz et Tao Wang : On doit soumettre des « demandes de temps » aux différents comités chargés de les évaluer et de les classer pour chacun des télescopes. La compétition est très élevée, d'autant plus que l'on s'adresse aux télescopes les plus puissants.

    Il faut compter un an entre l'écriture de la demande de temps et la réceptionréception des données astronomiques quand on réussit à passer la barre de la sélection au premier coup et, bien entendu, deux voire trois ans quand il faut s'y reprendre à plusieurs fois. Par chance, les divers comités ont tous été très enthousiastes quand ils ont lu le rapport que nous leur faisions sur notre découverte.   

    Les données de chaque instrument sont-elles acquises en même temps ?

    David Elbaz et Tao Wang : Chaque télescope a sa propre programmation indépendante, les données ne sont donc pas acquises en même temps. Nous avons reçu les premières données utilisées pour cet article en décembre 2014. Les dernières données utilisées nous sont arrivées en décembre 2015.

    Cette image montre un zoom sur le coeur de l’amas avec ses 17 galaxies en pleine « flambée d’étoiles » identifiées par le rayonnement de leur matière interstellaire (<em>via</em> la détection des molécules et de leur redshift grâce à IRAM-NOEMA, et des poussières grâce à ALMA).© CEA

    Cette image montre un zoom sur le coeur de l’amas avec ses 17 galaxies en pleine « flambée d’étoiles » identifiées par le rayonnement de leur matière interstellaire (via la détection des molécules et de leur redshift grâce à IRAM-NOEMA, et des poussières grâce à ALMA). © CEA

    Les instruments sont très différents. Comment les données sont-elles exploitées et utilisées ?

    David Elbaz et Tao Wang : Bien entendu, chaque instrument requiert une expertise particulière pour son exploitation. Notre équipe au CEA a été construite en connaissance de cette nécessité et nous disposons d'experts, qu'ils soient membres permanents du CEA ou étudiants/postdoctorants, qui travaillent chacun dans un domaine complémentaire. Mais la richesse des données et des techniques utilisées nous a aussi conduits à développer des collaborations, en particulier avec notre collègue expert dans le domaine de la détection de sources très faibles dans le domaine des rayons Xrayons X.

    Chaque domaine de longueurs d'ondelongueurs d'onde apporte une information complémentaire. La première information cependant concerna la mesure des distances des galaxies, une mesure réalisée grâce à la détection de « raies en émissionémission » à des longueurs d'onde très précises dont on peut mesurer le décalage vers le rougedécalage vers le rouge. L'observatoire du plateau de Bure (IRAM-Noema) et le VLA mesurent le rayonnement engendré par les vibrationsvibrations de la moléculemolécule de monoxyde de carbonemonoxyde de carbone (CO) dans les domaine sub-millimétrique et radio (chaque instrument mesure des modes d'excitation différents). Le VLT (instrument KMOS) mesure dans l'infrarougeinfrarouge proche l'émission de lumièrelumière rayonnée par l'hydrogènehydrogène ionisé (raie H alpha).  

    D’autres observations de ce type sont-elles prévues ? Si oui, lesquelles ?

    David Elbaz : Oui, de nouvelles demandes de temps nous ont été récemment allouées pour les instruments de l'observatoire Alma, VLT-KMOS et le télescope spatial Hubble. Le principal investigateur de chacune de ces demandes est Tao Wang qui a réussi l'exploit de convaincre des communautés très différentes de l'intérêt de combiner ces différents regards.

    À quand l'observation des premiers objets sortis des âges sombres ?

    Tao Wang : La particularité des amas de galaxies est de constituer les dernières structures formées au cours de la formation hiérarchique des structures, allant des plus petites aux plus grandes. Juste après les âges sombresâges sombres, se formèrent les premières étoiles puis les premières galaxies, certaines regroupées en petits groupes. Mais l'accumulation de centaines de galaxies dans une seule structure, comme cet amas de galaxies, prend beaucoup de temps. C'est d'ailleurs l'un des résultats les plus surprenants de notre découverte : on n'attendait pas la formation d'un amas de galaxies aussi tôt dans l'histoire de l'univers !