Dans les océans du monde, il y a de plus en plus de zones mortes. Des régions privées d’oxygène. En cause, les pollutions et… le réchauffement climatique. Alors, pour ce faire une idée de ce qui pourrait nous attendre — si nous ne réduisons pas nos émissions de gaz à effet de serre rapidement — dans le siècle à venir, des chercheurs ont interrogé le passé. Et ils n’ont pas de bonnes nouvelles pour notre océan Atlantique.


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    Les zones mortes. C'est ainsi que les scientifiques qualifient les régions de l'océan -- mais aussi des lacs ou des estuaires, par exemple -- déficitaires en oxygène. Ils parlent aussi de zones à minimum d'oxygène (OMZ). Il en existe. Elles restent normalement rares. Cantonnées aux grands fonds océaniques. Mais l'expression est aujourd'hui plutôt employée pour désigner les zones anormalement pauvres en oxygène. Suffisamment pour entraîner l'asphyxieasphyxie de la faune. Et ce, à des profondeurs comprises seulement entre 100 et 1 000 mètres sous la surface.

    Le saviez-vous ?

    Dans les zones mortes de nos océans, les scientifiques observent une baisse de la concentration en oxygène allant jusqu’à 20 %. Dans certaines, le déficit est même de l’ordre de 50 %.

    Les zones mortes se trouvent surtout au large des côtes américaines. Du côté de l’Afrique de l’ouest aussi. Et sur la partie occidentale de l’Indonésie.

    La première cause identifiée de la raréfaction de l'oxygène dans les océans a été l'agriculture intensive. Plus spécifiquement, la pollution à l'azoteazote. Mais aussi d'autres pollutions, aux pesticides ou aux métauxmétaux lourds. Ces 10 dernières années, les scientifiques ont commencé à soupçonner un rôle du changement climatique. Parce que l'augmentation du nombre et de l'étendue des zones mortes coïncide avec la hausse des températures mondiale. Et parce que l'on trouve désormais des zones mortes dans les eaux libres. Des régions hors de portée du ruissellement agricole, par exemple.

    Les chercheurs indiquent que lorsque la température de l'eau augmente, l'oxygène se dissout moins bien dans ladite eau. Toutefois, les travaux menés sur les zones mortes de nos océans restaient parcellaires. Ainsi l'étude publiée aujourd'hui par des chercheurs de l’université d’État de Caroline du Nord (États-Unis) arrive-t-elle à point nommé. Elle se penche sur les données disponibles pour l'époque du Pliocène.

    L’océan Atlantique en danger

    Pourquoi le Pliocène ? « Parce que le Pliocène -- il y a entre 5,3 et 2,6 millions d'années -- est la dernière fois que nous avons eu un climatclimat stable et chaud à l'échelle mondiale. La température moyenne était alors de 2 à 3 °C plus chaude qu'elle ne l'est maintenant, ce que les scientifiques prédisent qui pourrait être le cas dans environ 100 ans », explique Catherine Davis, professeur de sciences marines, terrestres et atmosphériques, dans un communiqué de l'université d'État de Caroline du Nord.

    Ce sont de minuscules planctonsplanctons fossilisés, des organismes unicellulaires de la taille d'un gros grain de sablesable appelés foraminifèresforaminifères, qui ont renseigné les scientifiques sur la localisation des zones mortes durant le Pliocène. Plus particulièrement une espèceespèce, Globorotaloides hexagonus. Car on ne la trouve que dans des régions où l'oxygène est rare.

    La carte du haut montre - points bleus - les aires actuelles de répartition de Globorotaloides hexagonus, un foraminifère que l'on trouve dans des zones de l'océan à faible teneur en oxygène. Les zones en rouge foncé montrent d'ailleurs ces régions de l'océan dans lesquelles l'oxygène manque à 600 mètres de profondeur. La carte du bas correspond à l'époque du Pliocène. © Davis et al., Nature communications
    La carte du haut montre - points bleus - les aires actuelles de répartition de Globorotaloides hexagonus, un foraminifère que l'on trouve dans des zones de l'océan à faible teneur en oxygène. Les zones en rouge foncé montrent d'ailleurs ces régions de l'océan dans lesquelles l'oxygène manque à 600 mètres de profondeur. La carte du bas correspond à l'époque du Pliocène. © Davis et al., Nature communications

    La carte ainsi établie montre qu'au Pliocène, les eaux à faible teneur en oxygène étaient beaucoup plus répandues dans l'océan Atlantique. Notamment dans l'Atlantique Nord. « Cette carte des zones mortes du Pliocène pourrait nous donner un aperçu de ce à quoi pourrait ressembler l'Atlantique dans 100 ans sur une TerreTerre plus chaude. Car une eau plus chaude contient moins d'oxygène. Nous le voyons déjà », commente Catherine Davis.

    Voir aussi

    Inquiétante prolifération des zones mortes dans l’océan mondial

    Et si rien n'est fait pour enfin limiter la marche en avant du réchauffement climatiqueréchauffement climatique anthropique, les conséquences seront nombreuses, avancent les chercheurs. Du stockage du carbone au cycle des nutrimentsnutriments dans l'océan en passant par la gestion des pêchespêches et des espèces marines. Ainsi, les zones mortes consistent comme un « plancherplancher » qui « écrase les animaux marins -- ceux qui ne meurent pas d'asphyxie -- à la surface ». Les pêcheurs pourraient donc avoir l'illusion d'une abondance de poissonspoissons alors que ces derniers seront simplement contraints de vivre dans des espaces réduits. « Les pêcheries devront tenir compte des effets des zones mortes dans la gestion des populations. »


    Dans l'océan mondial, les zones mortes s’étendent étonnamment rapidement

    L'extension des « zones mortes », régions océaniques où l'oxygène devient trop rare pour les organismes vivants, a déjà été rapportée. Mais une nouvelle étude révèle un impact beaucoup plus sévère à court terme sur les écosystèmesécosystèmes.

    Article de Jean Etienne paru le 04/10/2008

    Cette photo de la Baie de San-Antonio (Texas), prise depuis la Station spatiale internationale, montre un estuaire particulièrement propice à la formation d’une zone morte par phénomène d’hypoxie, ainsi qu’en témoigne la turbidité de l’eau. © Nasa
    Cette photo de la Baie de San-Antonio (Texas), prise depuis la Station spatiale internationale, montre un estuaire particulièrement propice à la formation d’une zone morte par phénomène d’hypoxie, ainsi qu’en témoigne la turbidité de l’eau. © Nasa

    Observées depuis la fin des années 1990 par les Etats-Unis et en mer Baltique notamment, les « zones mortes, » ou OMZ (open-ocean oxygen-minimum zones, ou Zones de Minimum d'OxygèneZones de Minimum d'Oxygène) font l'objet d'une attention particulière. Ce terme désigne de vastes régions dites hypoxiques, c'est-à-dire déficitaires en oxygène dissous. Certaines d'entre elles sont d'origine naturelle, notamment en Mer NoireMer Noire où la carencecarence en oxygène perdure depuis des millions d'années, ou encore dans les grandes profondeurs marines. Mais l'activité humaine et ses conséquences indirectes en entraînent aujourd'hui la prolifération à une échelle que notre planète n'a jamais connue, excepté lors de certaines catastrophes climatiques marquées par des extinctions majeures.

    En 2004 déjà, le nombre de zones mortes avait été estimé à 150 dans le monde, alors que leur nombre était négligeable en 1970. Aujourd'hui, elles s'accroissent, non seulement en nombre mais surtout en superficie, d'environ 5% par an.

    Accroissement du nombre de zones mortes du début du siècle à nos jours. Crédit PNAS
    Accroissement du nombre de zones mortes du début du siècle à nos jours. Crédit PNAS

    L'apparition des premières zones mortes avait été attribuée principalement aux apports de fertilisants agricoles, notamment azotés, ainsi que l'écoulement des nutriments et de la matièrematière organique induite par la dégradation des sols agricoles. D'autres cultures destinées à la production de biocarburantbiocarburant et non soumises à réglementation car non destinées à l'alimentation humaine, subissent des traitements particulièrement intensifs et aggravent encore le phénomène, comme le maïsmaïs mexicain responsable de l'hypoxie constatée dans le nord du Golfe du Mexique.

    Mais il y a d'autres causes...

    La pollution chimiquepollution chimique n'est pas seule en cause, et il est admis que la turbiditéturbidité de l'eau, autrement dit la perte de transparencetransparence causée par d'autres pollutions ou par son eutrophisationeutrophisation empêche la pénétration du rayonnement solairerayonnement solaire, inhibant la photosynthèsephotosynthèse planctonique et augmentant la carence en oxygène.

    Après les premières zones mortes constatées dans la baie de Chesapeake (est des Etats-Unis) et dans les fjordsfjords scandinaves, d'autres sont apparues au large de l'Amérique du Sud, mais aussi dans les mers entourant le Ghana, la Chine, le Japon, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Portugal et plus récemment de la Grande-Bretagne.

    Si l'hypothèse biologique et chimique est bien la plus consensuelle, le réchauffement climatique joue aussi un rôle dans l'apparition de zones mortes. L'oxygène, en effet, se dissout moins bien dans une eau réchauffée que dans une eau froide, une élévation de température accélére donc la survenue d'une hypoxiehypoxie.

    Des espèces moins résistantes qu'on le pensait

    « Les organismes marins sont plus vulnérables au manque d'oxygène qu'on ne le pensait jusqu'ici, en particulier les poissons et les crustacéscrustacés », insiste Raquel Vaquer Suñer, de l'Institut méditerranéen d'études avancées (Espagne), auteur principale de l'article publié dans les Pnas.

    Des estimations bien trop optimistes

    La plupart des scientifiques estimaient jusqu'il y a peu qu'une zone morte  pouvait se créer lorsque le taux d'oxygène contenu dans l'eau de mer descendait sous les 2 milligrammes par litre. Mais il apparaît aujourd'hui que certaines espèces souffrent bien plus de ce manque. Certaines larveslarves de crabe vivant dans les eaux orientales des Etats-Unis et du Canada ressentent cette carence dès que le taux descend au-dessous de 8,6 mg/litre, soit à peine moins que le niveau normal pour la région.

    Alors qu'il était difficile de différencier l'impact des pollutions chimiques de celui de l'hypoxie sur la faune aquatique, on a pu établir, par voie expérimentale notamment, que le manque d'oxygène se répercutait sévèrement sur les facultés reproductrice des animaux, par la voie de l'infertilitéinfertilité, mais aussi par la réduction de la taille des organes reproducteurs et du nombre d'œufs. Des phénomènes hormonaux sont aussi mis en évidence.

    Les chercheurs font appel, via l'article du PNAS, afin que le taux considéré comme incompatible avec la vie marine soit relevé de 2 mg/litre à 4,6 mg/litre.