Les panaches d'aérosols qui traversent le Pacifique déversent des milliers de bactéries en provenance de l'Asie sur les États-Unis. Cette découverte pour le moins inattendue révolutionne le monde de l'aérobiologie et fait reconsidérer le rôle des micro-organismes sur le climat...

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    L'atmosphère terrestre est comme un millefeuille. L'airair que l'on respire fait partie de la première couche, la troposphère. Celle-ci s'étend en moyenne sur 10 km d'altitude et se décompose en deux couches : la couche limite d'1 km qui subit l'influence directe du sol, et la haute troposphère. C'est dans la troposphère que se produisent la plupart des événements météorologiques et que la plupart des aérosols sont en suspension. À l'exception des aérosols stratosphériques, issus des éruptions volcaniques, les aérosols ont une courte duréedurée de vie, d'une quinzaine de jours. Au-delà de cette période, ils sont lessivés par les précipitations. En 15 jours, ils ne peuvent se propager loin de leur zone d'émissionémission, rendant leur répartition très hétérogène. 

    Toutefois, lors d'événements particuliers comme les tempêtes de sable ou les petites éruptions volcaniques, des panaches d'aérosols peuvent se former, favorisant alors leur transport. Durant leur trajet, les aérosols peuvent jouer les vecteurs de bactéries ou de champignons. Ces micro-organismesmicro-organismes font de l'auto-stop dans la haute troposphère. Mais quantifier la concentration de biomassebiomasse à de telles altitudes est un réel défi scientifique, si bien qu'il existe de grandes incertitudes sur la présence de micro-organismes dans la haute troposphère. Récemment, des chercheurs de l'université de Washington ont pourtant réussi à collecter suffisamment de biomasse issue de panaches pour chambouler les lois de l'aérobiologie. 

    Des trajectoires de panaches de poussière : certaines en avril 2011 (figure a) et d’autres en mai 2011 (figure b). Les panaches sont originaires d'Asie et vont vers l'ouest des États-Unis à travers l'océan Pacifique. Ils ont été détectés par l'observatoire du mont Bachelor, dans le centre de l'Oregon. La barre d'échelle indique l'altitude (<em>Height</em>) en mètres à laquelle se trouvent les particules. © Université de Washington

    Des trajectoires de panaches de poussière : certaines en avril 2011 (figure a) et d’autres en mai 2011 (figure b). Les panaches sont originaires d'Asie et vont vers l'ouest des États-Unis à travers l'océan Pacifique. Ils ont été détectés par l'observatoire du mont Bachelor, dans le centre de l'Oregon. La barre d'échelle indique l'altitude (Height) en mètres à laquelle se trouvent les particules. © Université de Washington

    En collectant l'ADNADN des micro-organismes de deux panaches qui ont traversé le Pacifique, l'équipe menée par David J. Smith a montré qu'une étonnante quantité de bactériesbactéries avait traversé le Pacifique, de l'Asie jusqu'à la côte ouest des États-Unis. L'étude a en effet découvert cent fois plus d'espècesespèces de micro-organismes ayant effectué cette longue traversée que l'estimation publiée dans le dernier rapport édité 4 mois plus tôt. La différence entre les deux études résulte de la différence de méthodes : analyses moléculaires de l'ADN pour le second travail contre cultures classiques pour la première étude. Les résultats ont été publiés dans le journal Applied and Environmental Microbiology (AEM).

    Bientôt un nouvel écosystème : l’atmosphère ?

    Les panaches étudiés ont traversé le Pacifique de l'Asie vers les États-Unis au printemps 2011. L'une de ces migrations s'est produite en avril, et l'autre en mai. Le professeur Daniel Jaffe de l'université de Washington avait déjà documenté ces déplacements transpacifiques dans la haute troposphère. Les aérosols se sont propagés en 7 à 10 jours et ont été détectés au sommet du mont Bachelor (Oregon), dans la chaîne des Cascades. Au total, 2.100 espèces ont été identifiées, contre seulement 18 dans le rapport précédent. « Le transport sur une longue distance et la surprenante richesse d'espèces dans la haute troposphère bouleversent les paradigmes traditionnels en aérobiologie. Je crois que nous sommes prêts de considérer l'atmosphèreatmosphère comme un écosystèmeécosystème, explique David J. Smith, l'auteur principal de l'étude. Je crois que nous sommes prêts de considérer l'atmosphère comme un écosystème. »

    Environ 7,1 millions de tonnes d'aérosols traversent le Pacifique chaque année. Les 2.100 espèces de micro-organismes détectées dans les deux panaches du printemps 2011 sont pour moitié des espèces de bactéries et pour moitié des espèces de champignons. Toutes provenaient du sol asiatique, probablement à la suite du flétrissement des cultures. La plupart de ces micro-organismes se trouvent déjà en très faible quantité aux États-Unis, mais les panaches ont étonnamment augmenté leur concentration. Fait intéressant, David J. Smith révèle que 2 des 3 familles communes de bactéries des panaches sont connues pour leur capacité à former des spores, dans lesquelles elles peuvent hiberner sereinement. Et ce même dans des conditions difficiles, ce qui les rend spécialement bien adaptées à un transport en haute altitude.

    La microscopie électronique à balayage révèle une spore bactérienne en forme de raisin sec, au sommet d'un grain de poussière qui provient d'un des panaches analysés par l'observatoire du mont Bachelor. © Nasa

    La microscopie électronique à balayage révèle une spore bactérienne en forme de raisin sec, au sommet d'un grain de poussière qui provient d'un des panaches analysés par l'observatoire du mont Bachelor. © Nasa

    Une influence sur la météo ?

    Les connaissances actuelles sur les micro-organismes dans l'atmosphère sont relativement pauvres. Découvrir une telle quantité de bactéries transportées dans l'atmosphère perturbe les chercheurs. « J'ai été très surpris par les concentrations. On pourrait s'attendre à ce que les concentrations de cellules vivantes diminuent avec l'altitude à cause des retombées et de la dilution. La découverte de tant de cellules capables de s'adapter pour parcourir de longues distances à haute altitude conteste l'ancienne classification », a déclaré David J. Smith.

    Après un si long voyage, la plupart de ces micro-organismes étaient morts mais cette découverte remet en question le rôle du vivant dans le climat. Les cellules peuvent interagir avec leur environnement à haute altitude. Elles peuvent devenir un noyau pour des gouttelettes d'eau ou des flocons de neige et influencer le taux de précipitations. D'autres études estiment que 30 % des précipitations dans le monde sont déclenchées par des micro-organismes.