L’atrazine est un pesticide interdit en Europe mais très utilisé aux Etat-Unis. Un chercheur américain démontre une nouvelle fois la nocivité de cette molécule en exposant son impact sur les batraciens mâles. L’atrazine les castre et parfois les transforme même en femelle. Ce qui n’est pas sans conséquence sur la survie des populations de grenouilles.

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    L'atrazine est un herbicide et pesticide très commun utilisé par l'agriculture dans plus de 80 pays dans le monde, dont les Etats-Unis qui en consomment plus de 36.000 tonnes par an. Cependant, son utilisation a été interdite en France en 2003 et dans l'Union européenne depuis 2004, en raison des suspicions sur ses effets sur l'environnement et de son possible caractère cancérigène.

    Aux Etats-Unis, le professeur Tyrone B. Hayes de l'Université de Californie à Berkeley étudie depuis longtemps les effets de l'atrazine sur l'environnement. En 2002, il avait démontré que des concentrations de 0,1 partie par milliard (ppb), soit 30 fois la dose limite autorisée dans l'eau potable, transformaient les têtards en hermaphrodites.

    Deux avancées récentes ont permis à l'équipe de Tyrone Hayes d'aller plus loin. En effet, il est extrêmement difficile de distinguer un mâle (chromosomeschromosomes ZZ) d'une femelle (ZW) chez les grenouilles. Le développement d'une lignée exclusivement masculine puis, en 2008, de marqueurs génétiquesgénétiques des chromosomes sexuelschromosomes sexuels du xénope du Cap (Xenopus laevisXenopus laevis) ont changé la donne.

    Les études de laboratoire sur le xénope ainsi que les études de terrains sur la grenouille léopardléopard (Rana pipiens) ont montré qu'en présence d'atrazine, 75% des mâles sont castrés et 10% se transforment en femelles. Ce dernier phénomène, décrit dans les PNAS, n'avait jamais été observé jusqu'à présent.

    Des mâles qui n’en sont plus et qui menacent toute la population

    Les premiers individus ont un taux de testostéronetestostérone inférieur à celui des femelles et présentent donc des organes vocaux et sexuels réduits qui annihilent toute chance de reproduction dans la nature.

    Les mâles féminisés demeurent génétiquement des mâles (ZZ) mais possèdent des organes génitaux de femelles. Ils peuvent se reproduire avec d'autres mâles, pour ne donner naissance qu'à des descendants mâles.

    Cliquer pour agrandir. Au-dessus un mâle véritable féconde une fausse femelle, mais un vrai mâle (en dessous). De cette union induite par l’atrazine naîtront de nouveaux individus, tous viables mais tous mâles. © Tyrone Hayes

    Cliquer pour agrandir. Au-dessus un mâle véritable féconde une fausse femelle, mais un vrai mâle (en dessous). De cette union induite par l’atrazine naîtront de nouveaux individus, tous viables mais tous mâles. © Tyrone Hayes

    Ces individus risquent donc de déstabiliser profondément le sex ratio (proportion des mâles et des femelles) des populations, tandis que les autres, stériles, ne sont d'aucune utilité pour l’espèce.

    « Ces types de problèmes, comme le changement de sexe qui biaise les sex ratios, sont beaucoup plus dangereux que toutes les substances chimiques qui élimineraient complètement une population de grenouilles, explique Tyrone Hayes. Dans les populations exposées, il peut sembler que les grenouilles se reproduisent, mais en fait, la population est dégradée lentement mais sûrement par l'introduction de ces animaux altérés. »

    Exposées pendant trois ans à des concentrations d'atrazine de 2,5 ppb, les xénopes du Cap ont confirmé les observations de terrain sur les grenouilles léopards des cours d'eau contaminés. L'atrazine se comporte comme un perturbateur endocrinien qui affecte les taux d'hormoneshormones sexuelles de ces amphibiensamphibiens, comme cette moléculemolécule le fait pour d'autres groupes animaux. En outre, l'atrazine affaiblit le système immunitairesystème immunitaire et favorise le développement de maladies bactériennes chez ces amphibiens.

    Selon Tyrone Hayes, les pesticides et en particulier l'atrazine seraient une des causes possibles du déclin mondial des amphibiens, dont le taux d'extinction est deux cents fois supérieur à ce qu'il devrait être.

    Syngenta, un producteur d'atrazine, conteste cette étude. Ce à quoi répond le chercheur :

    « Ce que les gens doivent réaliser, c'est que, comme avec tout médicament, ils doivent décider si les bénéfices dépassent les coûts. Comme chez les grenouilles, tous les êtres humains ne seront pas affectés par l'atrazine, mais voulez-vous prendre le risque, avec tout ce que l'on sait déjà sur les effets de l'atrazine, non seulement sur les humains mais aussi sur les rongeursrongeurs et les grenouilles et les poissons ? ».