Loin sous le fond de l'océan Atlantique, à plus de 1.600 mètres, un forage a mis au jour des sédiments datés de 111 millions d'années au sein desquels prospèrent des populations de micro-organismes, par une température de près de 100°C. Trois records sont ainsi battus et démontrent qu'il existe sous terre une énorme biomasse jusqu'ici complètement ignorée.

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    Le Joides Resolution, qui a foré le sédiment marin. © IODP/USIO

    Le Joides Resolution, qui a foré le sédiment marin. © IODP/USIO

    En 2003, quelque part dans l'océan Atlantique nord, au large de Terre-Neuve, le navire Joides Resolution a planté son engin de forage par 4.500 mètres de fond et a creusé. L'extraction s'est arrêtée à 1.736,9 « mbsf », meter below sea floor, soit la profondeur atteinte sous le plancherplancher océanique. Cette campagne numérotée Leg 210 du Ocean Drilling Program (ODP) réunissait des océanographes venant de plusieurs pays pour étudier  au fond de l'Atlantique des traces de l'époque où cet océan s'est ouvert.

    Parmi les fragments de carottescarottes remontés, les plus profonds, donc les plus anciens, recélaient la plus étonnante surprise. L'équipe franco-américaine qui les a étudiés a découvert, à la cote 1.626 mbsf, une population de micro-organismesmicro-organismes en pleine forme. Les chercheurs du Laboratoire de Microbiologie des Environnement Extrêmes (Ifremer/CNRS) et de la School of Earth and Ocean Sciences (université de Cardiff) viennent de publier les résultats de leurs analyses dans la revue Science.

    Le livre Guiness des records n'enregistre pas ce genre d'exploit mais pourtant, trois records ont bel et bien été pulvérisés : celui de la vie la plus profondément enfouie dans le sol (le précédent record était de 842 mètres), le plus chaud des milieux vivants dans les sédimentssédiments marins (environ 100°C) et le plus vieil écosystèmeécosystème connu, avec 111 millions d'années.

    Cet âge canonique est celui de la couche géologique où ont été découverts ces micro-organismes. On ne sait pas si ces êtres vivent là depuis cette époque, c'est-à-dire depuis le temps où ces sédiments se trouvaient au fond du jeune océan, ou bien si ces populations ont été drainées plus tard depuis le plancher océanique. Mais dans les deux cas, la découverte est d'importance car on n'imaginait pas trouver la vie aussi profondément dans le sous-sol. Alors qu'on estimait une telle existence totalement impossible il y a encore peu d'années, des découvertes successives ont sans cesse repoussé vers le bas l'extension de la vie terrestre. Très récemment, des bactériesbactéries ont été repérées encore plus profondément en Antarctique, à trois kilomètres de profondeur, mais dans la glace, et non pas dans le sédiment.

    Sur cette photographie du sédiment (prise par un microscope à épifluorescence), la flèche montre une cellule de procaryote. Elle est bien modeste mais elle constitue un témoin vivant d'une biosphère profonde et immense, loin des écosystèmes que nous connaissons. © Erwan G. Roussel / CNRS

    Sur cette photographie du sédiment (prise par un microscope à épifluorescence), la flèche montre une cellule de procaryote. Elle est bien modeste mais elle constitue un témoin vivant d'une biosphère profonde et immense, loin des écosystèmes que nous connaissons. © Erwan G. Roussel / CNRS

    Un monde inconnu

    Quels sont ces organismes ? Ce sont tous des procaryotesprocaryotes, c'est-à-dire des micro-organismes dont l'ADNADN n'est pas protégé dans un noyau, comme dans nos cellules. Les bactéries sont des procaryotes mais les organismes trouvés au fond des sédiments sont des archéesarchées, des micro-organismes que l'on a longtemps classés avec les bactéries avant de s'apercevoir qu'ils en sont très différents. Les archées sont les championnes des milieux dits extrêmes, en température, en pression, en salinité...

    Celles découvertes à un kilomètre et demi sous le fond de l'Atlantique sont, d'après les analyses de leur ADN, apparentées à des archées déjà connues, thermophiles (c'est-à-dire qui aiment la chaleur) ou hyperthermophiles (qui aiment vraiment beaucoup la chaleur). Plus précisément, elles semblent se classer dans deux groupes existants, les Thermococcus et les Pyrococcus. Selon les chercheurs, l'existence de ces espècesespèces non répertoriées suggère que ces sédiments profonds et chauds abritent de nombreuses archées encore inconnues.

    Les espèces découvertes semblent se nourrir de méthane et d'hydrogène, qu'elles parviennent à oxyder, utilisant à leur profit la forte chaleur géothermique des profondeurs. Selon les auteurs, ces populations ne seraient pas l'exception. Il existerait ainsi une biosphèrebiosphère profonde, comme l'hypothèse en avait déjà été formulée, dépendante, au moins en partie, du méthane. D'après l'équipe franco-américaine, elle atteindrait 1.600 mètres au moins et peut-être davantage puisque ces micro-organismes peuvent supporter des températures supérieures à 100°C.

    Comme on l'avait déjà supposé, cette biosphère dont on sait si peu de choses abriterait pas moins du tiers des procaryotes de la planète et renfermerait un dixième de la quantité de carbone présente dans les organismes vivants. Un peu à la manière des astronomesastronomes, face à une matière noirematière noire invisible et de nature inconnue, les biologistes et les écologistes sont désormais confrontés à l'idée que parmi les formes de vie les plus fréquentes sur Terre - les procaryotes -, une grande partie nous est complètement inconnue...