On connaît la faculté de nombreux organismes invertébrés à régénérer une partie de leur corps. Mais des tuniciers marins font beaucoup mieux : un individu entier peut se former à partir d'une toute petite partie de l'animal, selon un mécanisme qui ressemble à l'embryogenèse.

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    D'après les auteurs de l'étude, c'est un cas unique dans le monde animal. Quelques fragments de vaisseaux sanguins prélevés chez le tunicier Botrylloides leachi régénèrent en deux semaines un organisme complet. On connaît bien sûr de nombreux autres cas chez les animaux. Les annélidesannélides (comme les vers de terre) et certains vertébrésvertébrés (comme les amphibiensamphibiens) peuvent régénérer un organe ou une partie de leur corps. Mais seuls des organismes plus simples, comme les polypes ou les médusesméduses (c'est-à-dire les cnidairescnidaires), les éponges et certains vers, sont capables de régénérer un individu complet à partir de quelques cellules.

    Or, il s'agit ici d'un organisme bien plus complexe qu'une méduse. Le botrylle est de la même famille que l'ascidie, ou tunicier, parfois appelée outre de mer, un animal marin en forme de sac à deux orifices vivant fixé sur les rochers. C'est un chordé (un urochordé plus précisément) : la larvelarve présente une structure dorsale longiligne, appelée chordechorde. Les vertébrés sont aussi des chordéschordés. Bref, ce sont des cousins. Les botrylles sont des ascidies coloniales (les plongeurs attentifs connaissent tous le botrylle étoilé). Les individus, ou zoïdes, vivent à l'abri d'une tunique commune et sont reliés les uns aux autres par des vaisseaux sanguins, au centre de la colonie, se terminant par des renflements en forme d'ampoule.

    Ram Reshef et Yuval Rinkevich (Israel Institute of Technology, Haifa) ont prélevé de petits morceaux de ces vaisseaux sanguins au niveau des ampoules, d'environ 1 millimètre de long et comportant chacun 100 à 300 cellules. Sous les yeuxyeux des chercheurs, chaque fragment s'est tout d'abord fermé puis a commencé à pousser pour reconstituer un réseau de vaisseaux. Un groupement de cellules est ensuite apparu et a formé un nouveau zoïde. Sur 95 fragments extraits, 80 ont ainsi bourgeonné pour former chacun nouvel organisme.

    Image du site Futura Sciences

    Le roman photo de la régénération. En A, on voit la colonie avec les zoïdes (flèches blanches) et le réseau de vaisseaux sanguins terminés par des ampoules (flèches jaunes). Une fois prélevés (B), ces vaisseaux démarrent la régénération (C à H). Trois jours plus tard, le réseau de vaisseaux se forme (C et D), suivi aux jours 6 et 7 par une matrice qui donnera la tunique entourant la colonie (E). Les cellules se regroupent d'un côté (F) et une vésicule apparaît (G), agrégeant des amas de cellules (flèches noires en H). Au jour 14, ils auront formé le zoïde.
    Crédit : Yuval Rinkevich, Guy Paz, Baruch Rinkevich, Ram Reshef

    Les individus nés ainsi étaient complets, avec leur système de filtration et de respiration et présentaient même une lignée de cellules germinales (sexuelles). « A notre connaissance, rapportent les auteurs, c'est la première fois que l'on observe une régénération de la lignée germinale à partir de vaisseaux sanguins. »

    Cette régénération ne ressemble pas à celle observée chez d'autres animaux qui passe par la formation d'un blastèmeblastème, amas de cellules dédifférenciées qui peuvent ensuite redonner tous les types cellulaires par divisions successives. Ici, la formation des zoïdes ressemble en revanche au développement embryonnaire.

    Pour aller plus loin, les chercheurs ont tenté de repérer les gènes fortement exprimés durant cette régénération et ont mis le doigt sur celui produisant un récepteur à l'acideacide rétinoïque, un dérivé de la vitamine A justement connu pour son rôle dans la différenciation cellulaire.