La matière noire continue d’échapper aux tentatives de détection mises en œuvre par les astronomes. Mais des chercheurs proposent aujourd’hui une idée nouvelle pour la piéger. Ils imaginent construire une radio à axions pour capter le murmure de la matière noire.


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    Soupçonnée dès les années 1930, l'existence de la matière noirematière noire - une matière élusive qui constituerait plus de 85 % de la matière de notre Univers - a réellement été considérée à partir des années 1970. Et au fil des années, les astronomesastronomes ont acquis la quasi-certitude que cette matière qui échappe à leur détection est constituée de quelque chose d'exotiqueexotique. Peut-être de celui que les physiciensphysiciens appellent l'axion. Ainsi, plutôt que de particules discrètes, la matière noire prendrait la forme d'une onde omniprésente dans l'espace.

    « Trouver l'axion, c'est un peu comme accorder une radio. Vous devez accorder votre antenne jusqu'à ce que vous sélectionniez la bonne fréquence. Et alors, ce n'est pas de la musique, mais la matière noire que vous entendrez lorsque la Terre la traversera », explique Alexander Millar, physicien à l'université de Stockholm (Suède).

    Son idée pour y parvenir : compter sur une amplification du signal par un plasma froid. Pour bien comprendre, il faut d'abord se rappeler qu'un plasma est un état de la matière dans lequel les particules chargées - les électrons par exemple - peuvent s'écouler librement, un peu comme un fluide. Or, placés dans un champ magnétiquechamp magnétique, les axions pourraient générer un petit champ électriquechamp électrique qui pourrait lui-même permettre de générer des oscillations du plasma. Des oscillations qui viendraient amplifier le signal, comme une radio à axions.

    De manière schématique, le principe de la radio à axions imaginée par les chercheurs de l’université de Stockholm (Suède). © Alexander Millar, Université de Stockholm
    De manière schématique, le principe de la radio à axions imaginée par les chercheurs de l’université de Stockholm (Suède). © Alexander Millar, Université de Stockholm

    De la théorie à la pratique

    « C'est une façon totalement nouvelle de rechercher de la matière noire en visant l'un des candidats principaux dans des domaines encore totalement inexplorés. Construire un "plasma accordable" nous permettrait de faire des expériences beaucoup plus volumineuses que les techniques traditionnelles, en donnant des signaux beaucoup plus puissants aux hautes fréquences », précise Alexander Millar.

    Un métamatériau pour accorder la radio à axions

    Et pour accorder leur radio à axions, les physiciens comptent utiliser un métamatériau filaire, un réseau de fils plus fins que des cheveux et qui peuvent être déplacés pour ajuster la fréquence caractéristique du plasma. Le tout placé au cœur d'un puissant aimantaimant du type de ceux que l'on trouve dans les installations d'imagerie par résonance magnétique (IRMIRM) des hôpitaux.

    Du côté de Berkeley (États-Unis), un groupe de chercheurs a déjà entamé des travaux destinés à développer une telle expérience dans un avenir proche. L'idée de tendre l'oreille pour écouter le murmure de la matière noire semble donc bien partie pour ne pas rester sans suites...


    Picasso s'apprête à écouter la matière noire !

    Pour détecter les mystérieuses particules de matière noire, une équipe de chercheurs canadiens explore une piste prometteuse et originale : à l'aide d'une chambre à bulles, il serait possible... de les entendre.

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco paru le 27/10/2008

    Module de dernière génération de détecteurs Picasso installés à Snolab, de 4,5 l avec 80 g de masse active de C<sub>4</sub>F<sub>10</sub>. Les gouttelettes sont figées dans un polymère élastique. Les signaux sont enregistrés par 9 capteurs piézo-électriques et les événements localisés par triangulation. Actuellement, une nouvelle expérience Picasso est en train d’être installée, avec 32 modules de détection comme celui-ci, avec une masse active de 2,6 kg. Crédit : Collaboration Picasso
    Module de dernière génération de détecteurs Picasso installés à Snolab, de 4,5 l avec 80 g de masse active de C4F10. Les gouttelettes sont figées dans un polymère élastique. Les signaux sont enregistrés par 9 capteurs piézo-électriques et les événements localisés par triangulation. Actuellement, une nouvelle expérience Picasso est en train d’être installée, avec 32 modules de détection comme celui-ci, avec une masse active de 2,6 kg. Crédit : Collaboration Picasso

    L'apparition des galaxiesgalaxies, les mouvementsmouvements des étoilesétoiles en leur sein ou les phénomènes déclenchés par la collision de deux amas de galaxiesamas de galaxies sont très difficiles à expliquer sans admettre l'hypothèse que la vaste majorité des particules de matière dans l'Univers observable est constituée de particules inconnues plutôt que de protonsprotons, de neutronsneutrons ou de neutrinosneutrinos.

    Il s'agirait de particules neutres n'interagissant que très faiblement avec la matière normale et probablement uniquement par l'attraction gravitationnelle. On mentionne souvent à leur sujet les noms de neutralinosneutralinos, des particules supersymétriques stables et neutres, ou encore de Wimps (pour Weakly Interacting Massive Particle).

    Ces particules pourraient être créées au LHCLHC l'année prochaine mais, si c'est le cas, il faudra probablement au moins une année pour extraire la preuve de leur existence de l'océan des données enregistrées par les détecteurs du LHC, comme Atlas, et surtout en déduire leur nature. Entre temps, d'autres expériences pourraient bien damer le pion aux équipes du LHC.

    En effet, l'expérience dénommée Picasso (Projet d'Identification de CAndidats Supersymétriques Sombres) est elle aussi sur la trace des particules de matière noire. Son principe est simple et repose sur une idée ancienne datant du début du siècle dernier : la chambre à bulles.

    Dans cette expérience, on utilise un liquide actif à base de 80 g de fluorinefluorine (C4F10), dispersé sous forme de gouttelettes de 50 à 100 µm de diamètre dans un milieu visqueux. Ces microgouttes sont très nombreuses puisqu'on les compte par millions, mais, surtout, elles se trouvent dans un état liquideétat liquide dit surchauffé. Porté à une température bien supérieure à son point d'ébullition, ce liquide est extrêmement instable et la moindre perturbation déclenche une transformation explosive du liquide en vapeur.

    Une particule de matière noire comme une Wimp pénètre dans une microgoutte et provoque l'apparition d'une bulle de vapeur en expansion. Crédit : Collaboration Picasso
    Une particule de matière noire comme une Wimp pénètre dans une microgoutte et provoque l'apparition d'une bulle de vapeur en expansion. Crédit : Collaboration Picasso

    Des collisions qui font du bruit

    Lorsqu'une particule de matière noire pénètre à l'intérieur d'une de ces gouttes et entre en collision avec un noyau, l'énergieénergie qu'elle dépose va se répartir dans la goutte et, plus précisément, provoquer la transition de phasetransition de phase du liquide en vapeur. Le phénomène s'accompagnera d'une émissionémission sonore.

    Afin de s'affranchir au mieux du bruit de fond résultant des particules de matière normale présentes dans les rayons cosmiquesrayons cosmiques, l'expérience Picasso est enterrée dans une ancienne mine. Pour calibrer les instruments, les chercheurs, une fois éliminées les sources de bruits, ont utilisé des neutrons et comparé ce qui se produisait avec des rayons alpha, des noyaux d'héliumhélium débarrassés de leur cortège électronique. De façon surprenante, le son produit par l'explosion des microgouttes était plus faible avec les neutrons qu'avec les rayons alpha, ce qui a fourni un moyen supplémentaire pour distinguer les événements provoqués par des particules chargées et ceux générés par des particules neutres, comme justement les particules de matière noire.

    L'explosion de microgouttes de liquide produit un son aisément détectable. Crédit : Collaboration Picasso
    L'explosion de microgouttes de liquide produit un son aisément détectable. Crédit : Collaboration Picasso

    Les physiciens ne comprennent pas encore très bien l'origine du phénomène mais indubitablement, celui-ci doit provenir du fait que les neutrons produisent moins de transition de phase du liquide surchauffé que les noyaux d'hélium. Comme il se produit moins d'explosions de microgouttes, le volumevolume sonore est plus faible. En fait, en moyenne, une seule microgoutte de vapeur serait produite pour chaque neutron traversant le détecteur, alors que plusieurs seraient produites par un seul rayon alpha.

    En plus d'aider à détecter les particules de matière noire, ce phénomène pourrait permettre de développer des détecteurs de neutrons et de particules alpha plus efficaces dans le cadre des applicationsapplications des radiations en biologie et en médecine.