Son destin est resté pendant un temps incertain mais l’Alpha Magnetic Spectrometer (AMS) partira bel et bien pour l’espace à bord d’une des dernières navettes. Son but, traquer l’antimatière cosmologique manquante, découvrir la nature de la matière noire, sans oublier d’éventuels minis trous noirs...

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    Le détecteur AMS est représenté sur cette vue d'artiste de l'ISS dans un cercle blanc. Crédit : Nasa

    Le détecteur AMS est représenté sur cette vue d'artiste de l'ISS dans un cercle blanc. Crédit : Nasa

    La physique des accélérateurs sur Terre a des limites et il y a gros à parier que pendant des dizaines d'années, voire des siècles, l'humanité ne disposera pas d'accélérateurs beaucoup plus puissants que le LHC avec ses 14 TeV. Certes, il existait bien à la fin des années 1980 un projet de constructionconstruction d'un accélérateur géant capable de monter à des énergies de 40 TeV. Mais avec ses 81 kilomètres de circonférence, ce projet pharaonique frôlait la limite de ce que l'on pouvait financièrement et technologiquement obtenir.

    Reste l'espace...

    En effet, la Terre est continuellement bombardée par des rayons cosmiques dont certains atteignent des énergies bien supérieures à des dizaines de milliers de TeV. Ce flux n'est pas contrôlable et sa luminositéluminosité est bien faible en comparaison de celle que l'on obtient sur Terre dans un accélérateur. Toutefois, avec de la chance, quelques collisions avec des particules possédant des énergies prodigieuses pourraient tout de même s'y produire et nous donner des renseignements de toute première importance sur des extensions de la physique des particules au-delà du modèle standard à de très hautes énergies.

    En tout état de cause, sonder de la physique au moins équivalente à ce que l'on peut faire avec le LHC est à portée de main si l'on pouvait mettre un gros détecteur en orbiteorbite, d'autant plus que l'absence d'atmosphèreatmosphère (ou presque) ne conduit pas à la formation des gerbes que l'on connaît sur Terre. L'analyse des réactions entre particules s'en trouverait donc facilitée et serait plus précise que ce que l'on est capable de faire avec un instrument comme Auger.

    Un tel détecteur existe et il était en chantier depuis des années, il s'agit d'AMS, l'Alpha Magnetic SpectrometerAlpha Magnetic Spectrometer. L'un de ses promoteurs est le prix Nobel Samuel Ting.

    Moins d'une dizaine de vols de navettes spatiales sont encore prévus pour terminer l'ISS, la station spatiale internationalestation spatiale internationale, et la navette elle-même ne tardera pas à prendre sa retraite. Mais, en 2010, un vol supplémentaire ajouté par décision du Congrès américain en 2008 emportera enfin AMS vers l'ISS.

    AMS est un instrument complexe équipé d'un puissant aimantaimant supraconducteursupraconducteur, de systèmes de détection des particules similaires à ceux du LHC et d'un superordinateursuperordinateur. En effet, le flot de particules pénétrant dans AMS est tout de même assez important et les données enregistrées sont trop nombreuses pour être envoyées pour traitement sur Terre. Il faut donc qu'un ordinateurordinateur puissant et rapide filtre et traite déjà les informations obtenues.

    AMS est donc un dispositif complexe et coûteux puisqu'il a nécessité 1,5 milliard de dollars, ce qui n'est pas loin de la moitié du prix du LHC ! Comme il a besoin de 2,5 kW pour fonctionner, le choix de le placer à bord de l'ISS dont les puissants panneaux solaires sont capables de fournir 110 kW était logique.

    Le détecteur AMS prêt pour son départ vers l'espace. Crédit Nasa

    Le détecteur AMS prêt pour son départ vers l'espace. Crédit Nasa

    Des traces possibles d'une nouvelle physique

    Comme son nom l'indique, l'un des buts principaux d'AMS est de partir à la recherche de noyaux d'héliumhélium (des particules alpha dans le jargon des physiciensphysiciens). Mais pas n'importe lesquels puisqu'il s'agit d'anti-noyaux d'hélium.

    En effet, on ne sait toujours pas pourquoi la matièrematière semble très largement dominante sur l'antimatièreantimatière dans l'universunivers observable. Il se peut que des processus à hautes énergies aient violé la symétrie matière-antimatière dans l'univers primordial en produisant un peu plus de matière que d'antimatière. Si certaines théories physiques comme les GUTGUT contiennent effectivement ce genre d'effet, il n'en reste pas moins qu'il s'agit pour le moment de spéculations théoriques.

    On pourrait aussi imaginer que tout comme l'huile et l'eau peuvent former une émulsionémulsion, matière et antimatière, en quantités égales, se sont séparées en plusieurs poches donnant naissance à des amas de galaxiesamas de galaxies, les unes de matière et les autres d'antimatière.

    Il existe cependant de sérieuses bornes à l'existence d'amas de galaxies d'antimatière dans l'univers observable car à la frontière entre deux amas, les nuagesnuages de gazgaz baignant les galaxies devraient entrer en contact. Matière et antimatière s'annihileraient alors, en produisant un rayonnement gamma intense et bien caractéristique. On devrait aussi trouver quelquefois des anti-noyaux d'hélium dans le rayonnement cosmique en provenance de galaxies d'antimatière proches. De tels noyaux ne sont quasiment jamais créés dans des collisions et leur découverte serait une signature de l'existence d'anti-étoilesétoiles (ce serait encore plus clair avec la détection d'anti-noyaux de carbonecarbone). Pour le moment, rien de tel n'a été observé et les astrophysiciensastrophysiciens et les cosmologistes sont plutôt confiants. Au moins dans un rayon de plus de 3 milliards d'années-lumièreannées-lumière, nous sommes raisonnablement sûr qu'il n'y a pas de galaxies d'antimatière. Mais au-delà ?

    AMS est donc susceptible de nous renseigner sur l'énigme de l'antimatière cosmologique manquante mais il est capable de faire mieux. En effet, il peut mesurer avec une bonne résolutionrésolution la quantité de positronspositrons se trouvant dans le rayonnement cosmique et il surpasse en précision des missions comme le satellite Pamela. Or, des excès de positrons à certaines énergies sont des conséquences indirectes de l’annihilation de particules de matière noire dans la Galaxie, comme par exemple des neutralinosneutralinos ou des particules de Kaluza-Klein.

    Plus fascinant encore, si des minis trous noirs, reliques de processus cosmologiques primitifs existent dans la Galaxie, ils devraient être responsables d'un flux anormalement élevé d'antiprotonsantiprotons et surtout d'anti-noyaux de deutérium. Que ce soit avec ces minis trous noirstrous noirs ou avec des particules de matière noirematière noire, cela constituerait un bond formidable dans la connaissance d'une physique au-delà du modèle standard, simplement déjà parce que cela en établirait l'existence.

    D'autres découvertes sont possibles avec AMS, comme par exemple l'âge des rayons cosmiques ou l'existence de « pépites » riches en quarks étrangesquarks étranges laissées par le plasma de quarks primordial lorsqu'il s'est refroidi. Ces amas arbitrairement grand théorisés il y a longtemps par Edward Witten pourraient aussi expliquer une partie de la matière noire.

    Que ce soit avec le LHC, Planck, Herschel, Kepler ou AMS les dix prochaines années seront peut-être parmi les plus révolutionnaires de l'histoire de la physique, de la cosmologiecosmologie et de l'astronomie...