Des physiciens japonais et allemands ont mesuré avec une extraordinaire précision la masse de l’antiproton. Leur but était de vérifier la validité de la théorie de la relativité restreinte et de tenter de résoudre l’énigme de l’antimatière cosmologique manquante.

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    Une vue d'artiste d'un antiproton en orbite dans un atome d'hélium soumis à un faisceau laser (à gauche). © Max Planck Institute of Quantum Optics, Garching

    Une vue d'artiste d'un antiproton en orbite dans un atome d'hélium soumis à un faisceau laser (à gauche). © Max Planck Institute of Quantum Optics, Garching

    • Découvrez l'énigmatique antimatière dans notre dossier 

    Dans le cadre de la physique actuelle, à des énergies inférieures à celles des collisions réalisées au Tevatron entre protons et antiprotons, tous les événements de l'univers observable sur Terre ne sont que des sortes de configurations ondulatoires d'un champ quantique relativiste. Mariant les lois de la mécanique quantiquemécanique quantique avec celles de la relativité restreinterelativité restreinte, de tels champs décrivent complètement les électronsélectrons, les protons et les neutronsneutrons formant les atomesatomes de nos corps, du SoleilSoleil et des planètes ardentes.

    Un théorèmethéorème mathématique concernant un champ quantique relativiste exige que ce champ doit respecter ce que l'on appelle l'invariance CPTinvariance CPT. En clair, prenez n'importe quelle expérience de physique ou de chimiechimie dans l'univers observable, refaites-la en remplaçant les particules de matièrematière par de l'antimatièreantimatière et inversement, prenez son image dans un miroirmiroir (ce qui inversera par exemple le sens du courant dans une bobine électrique) et renversez le sens des divers mouvementsmouvements, comme si l'écoulement du temps était inversé, et vous ne verrez aucune différence.

    Depuis des années, les physiciensphysiciens cherchent des phénomènes qui violeraient l'invariance CPT. L'une des raisons motivant ces recherches est que cela pourrait expliquer pourquoi il n'y a quasiment pas d'antimatière dans l'univers, alors que matière et antimatière aurait du être créées en quantités égales au moment du Big Bang d'après les lois de la physique connues.

    Au-delà de la relativité restreinte ?

    Or, en 2002, le célèbre chercheur Oscar Greenberg, un des premiers à proposer l'existence de la charge de couleurcouleur pour les quarksquarks, a démontré un théorème aux conséquences profondes en ce qui concerne la violation de l'invariance CPT. Selon le théorème de Greenberg, par exemple, une différence de massemasse entre un proton et un antiproton impliquerait automatiquement une violation de l'invariance de Lorentz, c'est-à-dire une violation des prédictions de la théorie de la relativité restreinte d’Einstein !

    Inutile de dire que les recherches portant sur la comparaison des masses des protons et des antiprotons sont devenues encore plus intéressantes. De fait, depuis plusieurs années, c'est ce qu'essaient de faire au CernCern les physiciens de l'expérience Atomic Spectroscopy And Collisions Using Slow Antiprotons (Asacusa).

    Les physiciens d'Asacusa devant leur machine. © Cern-Laurent Guiraud

    Les physiciens d'Asacusa devant leur machine. © Cern-Laurent Guiraud

    Masaki Hori,Theodor W. Hänsch de l'Institut d'optique quantique Max PlanckMax Planck, viennent d'ailleurs de publier dans Nature, avec leurs collègues, un article faisant état des derniers résultats obtenus dans ce domaine. Leur conclusion : aucune différence n'est mesurable entre la masse d'un proton et celle d'un antiproton ! Aucun signe d'une violation de l'invariance CPT donc.

    Pour réussir cette incroyable performance, les chercheurs ont commencé par obtenir des antiprotons lents en provenance de l'Antiproton Decelerator (AD) du Cern. En les faisant passer dans un milieu contenant de l'héliumhélium, ils ont ensuite obtenu de l'hélium antiprotonique, c'est-à-dire des atomes d'hélium dans lesquels un des deux électrons en orbiteorbite autour de leur noyau a été remplacé par l'antiproton chargé négativement.

    L'antiproton (p barre) s'approche de l'atome d'hélium et entre en collision avec un des électrons périphériques (dessins 1 et 2). Il l'éjecte (3) et le remplace (4) autour du noyau He++. Un atome d'hélium antiprotonique s'est donc formé. © Cern

    L'antiproton (p barre) s'approche de l'atome d'hélium et entre en collision avec un des électrons périphériques (dessins 1 et 2). Il l'éjecte (3) et le remplace (4) autour du noyau He++. Un atome d'hélium antiprotonique s'est donc formé. © Cern

    L'antiproton est 1.836,1526736 fois plus lourd que l'électron

    L'atome d'hélium est l'un des plus simples dans l'univers et l'hélium antiprotonique est bien plus aisé à produire que l'antihydrogène. On peut aussi le conserver bien plus longtemps pour faire diverses mesures. Or, les niveaux d'énergie dans un atome d'hélium antiprotonique ne sont pas les mêmes que dans un atome d'hélium. Dans les deux cas, ces niveaux sont calculables jusqu'à un certain point. On peut faire une mesure précise des transitions de l'antiproton dans un atome d'hélium antiprotonique sous l'effet d'un rayonnement. En comparant avec ce qui se passe dans un atome d'hélium, il devient possible de connaître avec une grande précision le rapport de la masse du proton et de l'antiproton.

    Plus exactement, on obtient d'abord une détermination de la masse de l'antiproton par rapport à celle de l'électron. Comme le rapport de la masse du proton à celui de l'électron est mesuré avec une grande précision, on peut ensuite comparer les masses du proton et de l'antiproton.

    L'évolution dans le temps de la mesure du rapport masse du proton/masse de l'électron. De 1985 à 2002, les barres d'erreurs (verticales) se réduisent considérablement. En 2006 le rapport masse de l'antiproton/masse de l'électron (en rouge) était déjà bien déterminé. © <em>Stefan Meyer Institut</em>

    L'évolution dans le temps de la mesure du rapport masse du proton/masse de l'électron. De 1985 à 2002, les barres d'erreurs (verticales) se réduisent considérablement. En 2006 le rapport masse de l'antiproton/masse de l'électron (en rouge) était déjà bien déterminé. © Stefan Meyer Institut

    Toutefois, la mesure est difficile en ce que les atomes d'hélium antiprotonique sont en mouvement du fait de l'agitation thermique. La largeur des raies d'émissionémission s'en trouve augmentée, diminuant à priori la précision des mesures.

    Par rapport à une précédente détermination de la masse de l'antiproton en 2006, les chercheurs ont contourné l'obstacle en soumettant les atomes d'hélium antiprotonique à deux faisceaux laserlaser finement ajustés. Cette méthode de spectroscopie laser à deux photonsphotons leur a permis de gagner en précision de 4 à 6 ordres de grandeursordres de grandeurs ! Ainsi, le rapport de la masse de l'antiproton à celle de l'électron est connu avec une précision dépassant le milliardième.

    « Nous avons mesuré la masse de l'antiproton relativement à celle de l'électron avec une précision de 10 chiffres, et nous avons trouvé exactement la même valeur que celle du proton, connue avec une précision similaire. Cela peut être considéré comme une confirmation du théorème CPT. Par ailleurs, nous avons appris que les antiprotons obéissent aux mêmes lois de l'optique quantique non linéaire que les particules normales, et nous pouvons utiliser des lasers pour les manipuler. La technique à deux photons devrait permettre d'atteindre une  précision beaucoup plus élevée dans l'avenir, de sorte que, finalement, la masse antiproton pourrait être mieux connue que celle du proton » selon Masaki Hori.