Les primates anthropoïdes ont entre autres donné naissance à la lignée humaine en Afrique. Pourtant, leurs plus vieux fossiles ont été trouvés en Asie. Une nouvelle étude, basée sur l’analyse de molaires découvertes au Myanmar et en Lybie, démontre maintenant qu’ils ont bien colonisé le continent africain durant l’Éocène moyen. Les ancêtres de nos ancêtres étaient donc Asiatiques.

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    La ressemblance entre les molaires d'Afrasia djijidae (à droite) et Afrotarsius libycus (à gauche) est frappante. Les lieux de vie de ces deux espèces ont été replacés sur la carte de la Terre présentant la position des continents durant l'Éocène moyen, il y a 35 millions d'années. L'Afrique et l'Asie étaient séparées par l'océan Téthys. © Chaimanee et al. 2012, Pnas

    La ressemblance entre les molaires d'Afrasia djijidae (à droite) et Afrotarsius libycus (à gauche) est frappante. Les lieux de vie de ces deux espèces ont été replacés sur la carte de la Terre présentant la position des continents durant l'Éocène moyen, il y a 35 millions d'années. L'Afrique et l'Asie étaient séparées par l'océan Téthys. © Chaimanee et al. 2012, Pnas

    L'origine de la lignée humaine, vieille de 7 millions d'années, est africaine. Plus aucun doute ne subsiste à ce sujet. Une étude génétiquegénétique, il est vrai un peu critiquée, aurait même réussi à localiser avec précision le berceau de l'humanité en Afrique du Sud, bien que les principales découvertes de fossiles aient été faites au Tchad (ToumaïToumaï) ou en Éthiopie (Orrorin).

    Mais au fait, nos ancêtres n'avaient-ils pas eux-mêmes des... ancêtres ? Les primates anthropoïdesanthropoïdes, groupe ayant donné naissance aux Hommes, aux grands singes ou encore aux babouins, venaient-ils également d'Afrique ? La réponse était affirmative jusqu'au début des années 1990. À cette époque, seule l'Égypte actuelle abritait des fossiles d'anthropoïdes vieux de 30 à 39 millions d'années. Des découvertes faites au Myanmar, en Thaïlande et en Chine ces 20 dernières années, de fossiles de primates âgés de 37 à 45 millions d'années, ont néanmoins très sérieusement bouleversé les connaissances acquises. Et si notre origine était asiatique ? Pour en être certain, il faudrait avoir des preuves justifiant l'existence d'une migration. Or celles-ci faisaient défaut... jusqu'à présent.

    Une équipe internationale menée par Jean-Jacques Jaeger, de l'Institut international de paléoprimatologie et de paléontologie humaine (IPHEP), a en effet découvert une nouvelle espèce de primate anthropoïde ayant vécu voici 37 millions d'années dans l'actuel Myanmar. Elle ressemble à s'y méprendre à une espèce... africaine un peu plus évoluée, ce qui ne les empêche pas de rester très proches d'un point de vue phylogénétiquephylogénétique. Ces résultats, basés sur l'analyse de dents, tendraient à prouver l'existence d'une migration des premiers primates anthropoïdes entre l'Asie et l'Afrique, alors séparées par l'océan TéthysTéthys. Ils sont publiés dans la revue Pnas.

    Les molaires d'<em>Afrasia djijidae</em>, le primate anthropoïde qui a probablement migré de l'Asie à l'Afrique durant l'Éocène moyen, ont été observées au microscope électronique à balayage. Les dents a et b proviennent d’une mâchoire supérieure (en vue occlusale, à savoir du haut). Les deux autres molaires trouvées au Myanmar appartiennent à la mâchoire inférieure. Les photographie c à e présentent la première d’entre elles respectivement en vue linguale, occlusale et buccale oblique. La dernière dent est montrée en vue occlusale (f) et buccale oblique (g). © MPFM

    Les molaires d'Afrasia djijidae, le primate anthropoïde qui a probablement migré de l'Asie à l'Afrique durant l'Éocène moyen, ont été observées au microscope électronique à balayage. Les dents a et b proviennent d’une mâchoire supérieure (en vue occlusale, à savoir du haut). Les deux autres molaires trouvées au Myanmar appartiennent à la mâchoire inférieure. Les photographie c à e présentent la première d’entre elles respectivement en vue linguale, occlusale et buccale oblique. La dernière dent est montrée en vue occlusale (f) et buccale oblique (g). © MPFM

    Deux espèces sœurs sur deux continents

    Quatre simples molaires trouvées entre 2005 et 2011 ont suffi pour décrire cette nouvelle espèce, baptisée Afrasia djijidae, appartenant au groupe des éosimiiformes. Elles ont été extraites de sédiments de la formation de Pondaung grâce à un tamisage à l'eau, à proximité du village de Nyaungpinle (Myanmar). Les dents ne mesurent que quelques millimètres de haut. Elles devaient appartenir à des animaux pesant une centaine de grammes, soit à peu près la massemasse des tarsiers actuels.

    Des similitudes remarquables de formes, de morphologiesmorphologies et de tailles ont été trouvées entre ces molairesmolaires et celles d'Afrotarsius libycus, un autre primate anthropoïde originaire lui... d'Afrique.  Comme son nom l'indique, cette espèce a été découverte en Libye sur le site de Dur At‐Talah. Elle aurait vécu voici 38 à 39 millions d'années, soit à la même époque qu'Afrasia djijidae. Pour les chercheurs français, il s'agirait du plus vieil anthropoïde trouvé en Afrique.

    Lors d'un examen plus approfondi, l'une des dents d'Afrasia, une molaire inférieure, a néanmoins présenté une protubérance un peu plus grande que celle observée chez Afrotarsius, prouvant ainsi que le primate asiatique serait un peu moins évolué. Cet élément, en plus de l'âge des autres anthropoïdes trouvés en Asie, tendrait à prouver qu'il y a bien eu une colonisation de l’Afrique à partir du Téthys durant l'Éocène moyen, il y a entre 37 et 48 millions d'années, car seul un événement de ce genre permettrait d'expliquer le présence de deux groupes frèresgroupes frères sur deux continents différents.

    Par ailleurs, Afrasia djijidae ne serait pas le seul organisme à avoir effectué ce voyage puisque d'autres espèces de primates anthropoïdes non apparentées à Afrotarsius libycus ont également été trouvées en Libye. Ainsi, nos ancêtres seraient originaires d'Afrique et leurs ancêtres d'Asie...