Alors que les skieurs guettent la neige, peut-être devraient-ils s'intéresser aux avions. En 2010, en effet, grâce à une observation fortuite, des météorologues trouvaient la clé d'une longue énigme : celle de ces étranges « coups de poinçon » dans les nuages, qui apparaissent comme des trous plus ou moins circulaires. Les coupables sont, comme on le pensait, des avions. Le mécanisme met en jeu la surfusion, démontrant qu'un avion peut effectivement laisser derrière lui une traînée de neige.

au sommaire


    Article publié le 18 juin 2010

    Qui donc perce les nuages ? Aussi saugrenue qu'elle puisse paraître, la question est posée. Aux États-Unis surtout, des photographes diffusent sur le Web ou dans les journaux des images de sortes de perforations dans la couverture nuageuse, de formes ovoïdes, parfois presque circulaires ou s'approchant de celle d'un stade. Souvent, un nuage filamenteux s'installe dessous. Ces fenêtresfenêtres s'ouvrent dans des altocumulus (tapis de nuages de l'étage moyen, entre 2.000 et 6.000 mètres) ou plus haut, dans des cirrocumulus.

    Appelées en anglais fallstreak (trouée en traînée) ou hole punch cloud (nuage poinçonné ou nuage en poinçonpoinçon), ces formations étonnent beaucoup leurs spectateurs, à tel point que leurs images viennent prendre place sur les sites de discussions autour des Ovnis.

    Pour les météorologuesmétéorologues aussi, le phénomène est intriguant. Les avions sont accusés mais sans que l'on ait établi jusque-là clairement le phénomène en cause. S'agirait-il d'un phénomène acoustique ? d'un réchauffement local ? d'un phénomène thermodynamiquethermodynamique dans les traînées de condensationcondensation ?

    Des météorologues américains, notamment du NCAR (National Center for Atmospheric Research), ont eu beaucoup de chance un jour de 2007 alors qu'ils volaient dans un Hercules C130 spécialement équipé, autour de l'aéroport de Denver, pour, justement, effectuer des mesures. Pendant le vol, l'équipe n'a rien remarqué de spécial mais le dépouillement des données a révélé une surprise. Un radar au sol avait repéré une zone de précipitation très localisée, de forme inhabituelle et évoluant rapidement, et ce lorsque leur avion météométéo était en l'airair. Les chercheurs ont alors épluché les images automatiquement enregistrées par les caméras du bord et ont découvert un de ces hole punch clouds au sein d'une couverture d'altocumulus. La vidéo montrait aussi à ce niveau une zone de précipitation neigeuse. Pendant 45 minutes, de la neige est effectivement tombée à cet endroit sur une aire d'environ 30 kilomètres sur quatre.

    Une superbe photo de Joel Knain d'un <em>hole punch cloud</em>, prise près de la ville de Mobile, en Alabama, avait eu les honneurs du site <a target="_blank" href="http://antwrp.gsfc.nasa.gov/apod/ap040112.html" title="Astronomy Picture of the Day">Apod</a> qui en a fait son image du jour le 12 janvier 2004. © Joel Knein

    Une superbe photo de Joel Knain d'un hole punch cloud, prise près de la ville de Mobile, en Alabama, avait eu les honneurs du site Apod qui en a fait son image du jour le 12 janvier 2004. © Joel Knein

    L'eau du nuage tombe en flocons de neige...

    Andrew Heymsfield (NCAR) et ses collègues ont remarqué que cette longue trouée s'alignait à peu près sur les directions suivies à cet endroit par les lignes aériennes commerciales. Les archives du trafic aérien correspondant à ce moment indiquaient deux vols ayant précisément traversé le secteur du hole punch cloud.

    Les données météorologiques de l'état de l'atmosphère de la région ne manquaient pas puisque, lors du vol du C130, tous les moyens locaux étaient en batterie, radars, lidarslidars, etc. L'équipe a donc pu analyser à loisir les conditions précises de vent, d'humidité, de température de toute la zone.

    Les conclusions de cette étude, publiée dans le Bulletin of the American Meteorological Society, confirment une hypothèse déjà évoquée. Les avions pourraient dans certaines conditions affecter l'équilibre thermodynamique des nuages même à basse altitude. Le phénomène est celui à l'origine des traînées de condensation, ces formations nuageuses qui naissent en bout d'ailes, en bout de pales ou en sortie des réacteurs quand l'air se détend brusquement, faisant chuter sa température, qui peut alors descendre en dessous du point de rosée.

    Ces traînées se forment généralement à très haute altitude par une température extérieure de -40°C. L'air doit être humide et contenir des gouttes d'eau encore liquidesliquides par le phénomène de la surfusionsurfusion. Un choc, une baisse de température, un cristal de glace, une particule de poussière voire des bactéries peut alors provoquer brusquement une prise en glace de l'ensemble des gouttes en suspension.

    Selon Andrew Heymsfield et ses collègues, la même cause peut survenir à température plus haute, jusqu'à -10°C. Quand l'avion traverse un altocumulus par exemple, et si certaines conditions sont réunies, les gouttes d'eau en surfusion se condensent en cristaux de neige et tombent. Dans la zone du nuage ainsi affectée par le passage de l'avion, l'eau liquide en suspension se raréfie. Un grand morceau d'altocumulus disparaît, remplacé par un trou de ciel bleu... C'est le principe utilisé pour faire pleuvoir ou neiger en ensemençant un nuage avec des particules de matièrematière (iodure d'argentargent en général). Un avion peut donc involontairement faire de même. Si la température extérieure est suffisamment élevée, la neige peut fondre avant d'arriver au sol, se vaporiser et former un nouveau nuage, juste sous le trou.

    Voilà l'explication des images de holes punch clouds et voilà pourquoi il peut neiger derrière un avion en montée.