Une collaboration entre archéologues et biologistes apporte des réponses à une question qui étonne les historiens : pourquoi, à l’orée du XVIe siècle, la lèpre a brusquement reculé en Europe ? La solution ne viendrait pas du pathogène lui-même, mais plutôt des Européens.

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    La lèpre se caractérise notamment par des infirmités sévères au niveau de la peau et des membres. Ces difformités sont peut-être à l'origine de l'exclusion sociale des malades, se signalant par une cloche au Moyen Âge et étant plus tard regroupés dans des léproseries. Cette mise à l'écart a cependant peut-être induit une sélection naturelle permettant aux Européens actuels d'être naturellement résistants à cette maladie. © Otis Historical Archives of National Museum of Health & Medicine, Wikipédia, cc by 2.0

    La lèpre se caractérise notamment par des infirmités sévères au niveau de la peau et des membres. Ces difformités sont peut-être à l'origine de l'exclusion sociale des malades, se signalant par une cloche au Moyen Âge et étant plus tard regroupés dans des léproseries. Cette mise à l'écart a cependant peut-être induit une sélection naturelle permettant aux Européens actuels d'être naturellement résistants à cette maladie. © Otis Historical Archives of National Museum of Health & Medicine, Wikipédia, cc by 2.0

    En Europe, on ne connaît la lèpre qu'à travers les livres d'histoire, les films ou les voyages dans certains pays d'Afrique, d'Amérique du Sud ou d'Asie. Bien qu'elle ait affecté 219.000 personnes en 2011, cette maladie potentiellement invalidante et peu contagieuse se traite aujourd'hui efficacement, surtout avec les moyens engagés par l'OMS pour rendre les polychimiothérapies gratuites pour tous les patients.

    Mais il n'en fut pas toujours ainsi. Au Moyen Âge, la lèpre était commune en Europe. Dans certaines régions, elle frappait même jusqu'à 30 % de la population. Les traitements à l'époque étaient rudimentaires et loin d'être efficaces. Pourtant, un grand mystère intrigue les historienshistoriens depuis longtemps. Au début de la Renaissance, l'incidence de la maladie a commencé à reculer : pourquoi ? Le pathogène serait-il devenu spontanément moins virulent ? Les Européens seraient-ils devenus résistants ?

    Une collaboration d'archéologues et de biologistes, dirigée par Johannes Krause de l'université de Tübingen en Allemagne, vient d'apporter des éléments nouveaux sur cette affaire dans la revue Science. Grâce à une comparaison génétique des souches médiévales et actuelles, ces scientifiques suggèrent que la bactérie de la lèpre, Mycobacterium leprae, n'a que très peu changé en un millénaire. Ce serait donc les Européens qui auraient évolué...

    <em>Mycobacterium leprae</em>, ici visible à partir d'un échantillon de la peau d'un lépreux, n'aurait que peu évolué durant le dernier millénaire. Pourtant, à une époque où la lèpre restait incurable, le nombre de cas a diminué en Europe. Probablement parce que les habitants ont commencé à se montrer insensibles à l'infection. Pour une fois que ce ne sont pas les bactéries qui deviennent résistantes... © CDC

    Mycobacterium leprae, ici visible à partir d'un échantillon de la peau d'un lépreux, n'aurait que peu évolué durant le dernier millénaire. Pourtant, à une époque où la lèpre restait incurable, le nombre de cas a diminué en Europe. Probablement parce que les habitants ont commencé à se montrer insensibles à l'infection. Pour une fois que ce ne sont pas les bactéries qui deviennent résistantes... © CDC

    Le bacille de la lèpre n’a guère changé en mille ans

    Pour arriver à de telles conclusions, ces chercheurs ont exhumé cinq cadavres victimes de la lèpre au Danemark, au Royaume-Uni et en Suède, morts entre le Xe et le XIVe siècle. À partir des os, ils ont tenté de récolter des échantillons d'ADN bactérien afin de reconstruire le génomegénome des souches infectantes de M. leprae. La tâche n'a rien de simple : il leur a d'abord fallu distinguer les ADNADN humain et bactérien, avant de reconstituer le patrimoine génétique à partir de quelques traces de la bactériebactérie.

    Cependant, ils sont parvenus à évaluer la quasi-totalité du génome des souches affectant ces squelettes sans se servir des variants actuels. Ils les ont ensuite comparé à onze formes modernes de la bactérie, retrouvées à travers le monde. Sur le dernier millénaire, les scientifiques n'ont dénombré qu'environ 800 mutations, un taux bien faible au regard du nombre de générations de bactéries qui se sont succédé. De telles similitudes suggèrent que la virulence et le pouvoir contagieuxcontagieux de M. leprae n'ont pas changé.

    La lèpre apportée durant les croisades ?

    Le recul de l'incidence pourrait donc venir d'une résistancerésistance croissante chez l'hôte humain. Des études précédentes ont montré des mutations dans le génome des Européens les rendant beaucoup moins sensibles à la maladie que le reste de la population mondiale. Cette nouvelle recherche rajoute donc du crédit à ces éléments.

    Les auteurs estiment que cette baisse du nombre de cas de lèpre pourrait être le signe d'une sélection naturelle. Une très forte prévalenceprévalence associée à une isolationisolation sociale limitait très probablement la reproduction des personnes affectées : seuls les individus naturellement résistants dispersaient leurs gènesgènes. Reste à comprendre pourquoi le même phénomène ne s'est pas produit ailleurs sur la planète.

    Autre point intéressant : les auteurs ont remarqué une très grande similitude entre les souches suédoise et britannique du Moyen Âge et celle qui frappe actuellement le Moyen-Orient. Ils supposent alors que les croisades ont amené les microbes d'un endroit à l'autre. Mais on ignore encore si ce sont les Européens qui ont apporté M. leprae ou s'ils l'ont simplement amenée. Voilà une nouvelle question qui pourrait désormais focaliser l'attention des scientifiques.