L’apparition des premières universités, au tournant des XIIe et XIIIe siècles, est un moment essentiel de l’histoire culturelle occidentale. Au cours du XIIe siècle, les « centres scolaires » se multiplient dans plusieurs grandes villes d’Europe : maîtres et étudiants se regroupent en corporations dotées de règles bien spécifiques. Au début du XIIIe siècle, les universités sont officiellement reconnues et encouragées par la papauté qui leur accorde protection, privilèges et autonomie.


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    Le terme « universitas » apparaît en Occident pour désigner l'ensemble formé par les enseignants et leurs élèves. Les universités les plus anciennes sont créées à peu près simultanément, autour de 1200, dans des sites déjà actifs à la fin du XIIe siècle : Bologne, Paris, Oxford, Montpellier. Ces quatre institutions demeurent jusqu'à la fin du Moyen Âge et bien après, les plus prestigieuses universités occidentales.

    Dès 1200, le roi Philippe Auguste accorde aux maîtres et étudiants parisiens des privilèges judiciaires. En août 1215, Robert de Courson, cardinal légat du pape, octroie aux maîtres et « écoliers » (terme employé pour étudiants) de Paris, une première charte qui fixe l'organisation des études. Les statuts de 1215 reconnaissent la nouvelle institution universitaire : son autonomieautonomie est garantie par la papauté dans ses aspects essentiels : accès à la fonction d'enseignant, libre organisation de l'enseignement et des examens, privilèges judiciaires. En 1231, une bulle du pape Grégoire IX  décrète que maîtres et étudiants parisiens sont désormais sous sa protection.

     

    Premiers statuts de l'université de Paris en août 1215, donnés par Robert de Courson. Parchemin de 170 sur 250 mm, département des manuscrits et livres anciens à la bibliothèque de la Sorbonne. © Bibliothèque de la Sorbonne
    Premiers statuts de l'université de Paris en août 1215, donnés par Robert de Courson. Parchemin de 170 sur 250 mm, département des manuscrits et livres anciens à la bibliothèque de la Sorbonne. © Bibliothèque de la Sorbonne

    Les études à l'université au Moyen Âge

    Les statuts de Robert de Courson règlent en détail le cursus dans les facultés « d'arts libéraux » qui constituent la base indispensable des études universitaires. La durée des études est fixée à six ans, avec un âge minimal de vingt-et-un ans pour accéder à la maîtrise. Après une première formation dans de petites écoles de grammaire ou auprès d'un précepteur, les jeunes étudiants âgés de 14 à 15 ans sont contraints de devenir clercs pour entrer à l'université. Au bout de trois ou quatre années d'études, l'étudiant peut obtenir le premier grade, le baccalauréat, après examen.

    Muni de ce titre, il assiste le professeur et devient le tuteur d'étudiants plus jeunes. La faculté des arts libéraux utilise le baccalauréat pour réguler l'accès à la licence. La licence ès arts (libéraux) est la première à avoir été formellement organisée sous l'égide de l'Église : à partir de 1179, le chancelier de Notre-Dame de Paris délivre une « licentia docendi », c'est-à-dire une autorisation d'enseigner ; cette licence préfigure les grades universitaires à partir du XIIIe siècle. 

    Maîtres et étudiants à Bologne, par Laurentius de Voltolina après 1350. Musée de peintures et dessins, Berlin. © <em>Wikimedia Commons</em>, domaine public
    Maîtres et étudiants à Bologne, par Laurentius de Voltolina après 1350. Musée de peintures et dessins, Berlin. © Wikimedia Commons, domaine public

    À la faculté des arts libéraux, elle peut s'obtenir après six ans d'études universitaires et atteste que son titulaire maîtrise suffisamment les savoirs pour les enseigner. S'il poursuit ses études après la licence, l'étudiant peut obtenir la maîtrise ès arts, qui marque son entrée dans la communauté des maîtres universitaires et garantit un accès privilégié aux bénéfices ecclésiastiques. Les rituels universitaires distinguent nettement un baccalauréat, une licence et une maîtrise, même si les trois degrés forment un tout indissociable.

    La maîtrise couronne les études à la faculté des arts et prépare aux degrés des facultés supérieures (médecine, droit, théologie). Enfin, le doctorat constitue la plus haute distinction universitaire : il est peu à peu conféré en droit, médecine et théologie. Le titre de docteur donne force de loi aux décisions de celui qui le porteporte ; il permet de bénéficier d'un grand prestige au sein de l'institution universitaire.

    Réunion de docteurs de l'université de Paris, XIV<sup>e</sup> siècle. Bibliothèque nationale de France. © Domaine public
    Réunion de docteurs de l'université de Paris, XIVe siècle. Bibliothèque nationale de France. © Domaine public

    Les universités médiévales, organisées en facultés dès leur fondation, comportent généralement cinq facultés. La faculté des arts compte le plus grand nombre d'étudiants : on y enseigne les sept arts libéraux (grammaire, rhétorique, dialectique, géométrie, astronomie, arithmétique, musique) qui constituent le socle commun de tout parcours universitaire. Lorsque les étudiants ont obtenu la maîtrise ès arts, ils ont la possibilité de se diriger vers les facultés de médecine, de droit canon, de droit civil ou de théologie.

    L'étudiant en médecine effectue au moins six années d'études médicales (après la maîtrise ès arts), pour l'obtention du doctorat en médecine. La formation du théologien peut s'étaler sur quinze ans (après la maîtrise ès arts) et l'âge minimal pour obtenir le doctorat est de 35 ans, d'après les statuts de l'université de Paris.

    Rosace des sept arts libéraux (<em>geometria, astronomia, grammatica, rhetorica, dialetica, musica, arithmetica</em>), extraite de l'<em>Hortus deliciarum</em>, par Herrad de Landsberg vers 1180. Bibliothèque Alsatique du Crédit Mutuel, Strasbourg. © Wikimedia Commons, domaine public
    Rosace des sept arts libéraux (geometria, astronomia, grammatica, rhetorica, dialetica, musica, arithmetica), extraite de l'Hortus deliciarum, par Herrad de Landsberg vers 1180. Bibliothèque Alsatique du Crédit Mutuel, Strasbourg. © Wikimedia Commons, domaine public

    L’importance de l’écrit

    L'autorité intellectuelle est incarnée par les textes écrits (textes des pères de l'Église, textes bibliques, auteurs antiques), les examens sont oraux. Certains auteurs sont fondamentaux : Aristote, CicéronCicéron, Euclide, Ptolémée... En médecine, on s'appuie sur les œuvres d'Hippocrate, Galien auxquels vont s'ajouter Avicenne et Averroès. Les théologiens se réfèrent à la Bible et aux travaux de Pierre Lombard, les juristes aux textes de Gratien.

    Enluminure (détail), dans les <em>Eléments </em>d'Euclide, traduction d'Adélar de Bath vers 1310. Personnification féminine de la géométrie (ou enseignante, ce qui paraît peu probable). British Library, Londres. © Wikimedia Commons, domaine public
    Enluminure (détail), dans les Eléments d'Euclide, traduction d'Adélar de Bath vers 1310. Personnification féminine de la géométrie (ou enseignante, ce qui paraît peu probable). British Library, Londres. © Wikimedia Commons, domaine public

    Fondé essentiellement sur l'étude et l'assimilation de textes, l'enseignement universitaire médiéval ne peut se passer des livres, ce qui soulève des difficultés pratiques liées à la rareté et au coût élevé des manuscrits. Dès le XIIIe siècle, Paris et Bologne deviennent des centres de production de livres dont les ateliers concurrencent les « scriptoria » ecclésiastiques traditionnels (ateliers de moines copistes). L'adoption de techniques appropriées (petits formats, abréviations multiples) réduit sensiblement le prix des textes destinés aux étudiants, tandis que le développement du système de la « pecia » (feuillets non reliés faciles à recopier), né sans doute à Bologne et bien attesté à Paris après 1250, permet d'accélérer le travail des copistes et de garantir la qualité des textes mis en circulation par l'université.

    Moines copistes dans un <em>scriptorium</em>, extrait du <em>Livre des jeux</em>, XIII<sup>e</sup> siècle. Bibliothèque de l'Escurial, Madrid. © Wikimedia Commons, domaine public
    Moines copistes dans un scriptorium, extrait du Livre des jeux, XIIIe siècle. Bibliothèque de l'Escurial, Madrid. © Wikimedia Commons, domaine public

    Les exercices et examens universitaires au moyen Âge

    L'enseignement fait une grande place aux performances orales (toujours en latin), sous la forme de lectures des textes étudiés et plus encore de questions disputées ou « disputes ». La « lectio » est l'exercice de base le plus ancien : il s'agit de lire l'extrait d'un texte qui fait autorité et de le commenter en recourant à ses connaissances. Il faut présenter le plan de l'ouvrage, son auteur et les grandes lignes de son propos ; puis l'étudiant commente ligne par ligne un extrait du texte. En guise de conclusion, il revient sur les paradoxes et points problématiques soulevés par le texte étudié.

    Dans la seconde moitié du XIIIe siècle, la « lectio » donne naissance à la « disputatio » ou question disputée. Une phrase ou quelques mots d'un texte donnent lieu à une réflexion très libre et dialoguée entre plusieurs universitaires qui mettent à l'épreuve leurs connaissances de la grammaire, de la logique et de la rhétorique. L'énoncé est donné par le maître lançant la « dispute » ; il prend la parole pour conclure et donner raison à tel ou tel intervenant.

    Page du <em>Libri Naturales</em>, traduction d'Aristote, manuscrit du XIV<sup>e</sup> siècle. Département des manuscrits et livres anciens, bibliothèque de la Sorbonne. © Bibliothèque de la Sorbonne
    Page du Libri Naturales, traduction d'Aristote, manuscrit du XIVe siècle. Département des manuscrits et livres anciens, bibliothèque de la Sorbonne. © Bibliothèque de la Sorbonne

    Le saviez-vous ?

    À la fin du Moyen Âge, l’université de Paris est devenue le plus grand centre culturel de la Chrétienté, attirant environ 20.000 étudiants dans ses facultés. Sa renommée est liée au prestige de ses maîtres mais également à sa très riche bibliothèque, comparable à celle des États pontificaux. La première imprimerie de France est installée à la Sorbonne en 1469, par le bibliothécaire du roi Louis XI, Guillaume Fichet.