Alors que l’on va célébrer le 50e anniversaire de la fin de la guerre d’Algérie, certains anciens combattants souffrent toujours de traumatismes profonds. Cela n’est d’ailleurs pas le propre de ce conflit. Mais durant longtemps, ils ont été ignorés et l’on portait plus d’intérêt à la santé physique que mentale. Depuis, ces traumatismes portent un nom : le PTSD. C'est l'occasion de se pencher sur ces séquelles qui peuvent être graves. Nous reviendrons sur ce thème avec le témoignage de Jacques Inrep, ancien appelé devenu psychologue puis avec le psychiatre Boris Cyrulnik.

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    La guerre d'Algérie a sollicité les appelés du contingent, des civils que l'on forme en quelques mois à devenir soldats. Ils ont constitué le gros des troupes françaises en Algérie et étaient envoyés sous les drapeaux près de deux ans et demi. Le temps de voir la mort en face. Ils sont plusieurs centaines de milliers, selon les estimations, à être rentrés traumatisés. © Poussin Jean, Wikipédia, cc by sa 3.0

    La guerre d'Algérie a sollicité les appelés du contingent, des civils que l'on forme en quelques mois à devenir soldats. Ils ont constitué le gros des troupes françaises en Algérie et étaient envoyés sous les drapeaux près de deux ans et demi. Le temps de voir la mort en face. Ils sont plusieurs centaines de milliers, selon les estimations, à être rentrés traumatisés. © Poussin Jean, Wikipédia, cc by sa 3.0

    Notre série d'articles sur la guerre d'Algérie

    Qu'est-ce que le traumatisme psychologique ?

    Un demi-siècle. Cela va faire un demi-siècle que l'Algérie a obtenu son indépendance à la force des armes. Et malgré les décennies écoulées, certaines plaies béantes n'ont jamais été pansées. Les traumatismes, vécus dans les deux camps, hantent encore les anciens soldats, qu'ils aient été combattants, bourreaux, ou même simples spectateurs de l'horreur et de la mort. Pourquoi, lors d'événements de ce genre, ces souvenirs violents sont-ils toujours là ? Il aura fallu des décennies, voire des siècles, de déni et d'ignorance avant que des observations scientifiques et des témoignages n'apportent enfin une réponse à cette question.

    L'Homme s'est de tout temps engagé dans des guerres. Pourtant, le sort des survivants n'intéresse les psychiatres que depuis peu. Même durant la première guerre mondiale, les soldats pris de tremblements incontrôlés sont le plus souvent passés pour des simulateurs. Ces trembleurs de la guerre, comme on les appelle, ont parfois péri sous le feufeu des pelotons d'exécution. Délaissés par la psychiatrie, de la même façon, souvent, que les revenants de la Shoah à leur retour des camps de concentration. Personne (ou presque) pour écouter leur souffrance, pas même le milieu médical.

    Bis repetita quinze ans plus tard. À leur retour, les soldats d'Algérie avaient besoin de s'exprimer. Raconter les événements les plus marquants. Mais la culture, et souvent la famille, leur ont ordonné de se taire. Alors ils ont obéi, rejetant dans un coin de leur tête ce qu'ils venaient de vivre. Le refoulement. Mais cela ne dure qu'un temps. 


    ATTENTION, CETTE VIDÉO CONTIENT DES SCÈNES SUSCEPTIBLES DE HEURTER LA SENSIBILITÉ DE CERTAINS INTERNAUTES. Elle montre ce qu'étaient les trembleurs de la guerre, ces soldats de la première guerre mondiale incapables de contrôler leurs mouvements. Traduction du texte : « Trembleurs de la guerre, Verdun, 1916. La guerre détruit les corps... mais aussi les esprits. Voilà les tremblements tels qu'ils ont été vécus. À la guerre, il n'y a pas de soldat qui rentre indemne. José Narosky ». © YouTube

    L’Algérie : une guerre sans nom

    Un beau jour, de préférence quand on s'y attend le moins, l'objet de l'angoisse resurgit telle une bombe. Peut-être même celle qui a tué son camarade de chambrée. À vouloir trop faire tomber la pressionpression dans le cerveau, elle n'a cessé de croître et se manifeste par un violent retour du refoulé, comme le qualifient les psychologues. On s'y revoit. Ces cris de terreur, ces relents pestilentiels, cette vision fantomatique d'un être humain que l'on sait vivre ses dernières minutes... Le traumatisme, le vrai.

    Les séquelles ne s'effacent pas d'un coup de baguette magique. Cauchemars, mutisme, comportements violents, alcoolisme, suicides, crimes, accidents étranges... La liste est encore longue. L'État français n'a jamais fourni de chiffres officiels. Il n'en dispose pas, tout simplement. Il faudra attendre les calculs, approximatifs, de spécialistes, dont ceux des deux psychanalystes, tous deux acteurs malgré eux du conflit, Jacques Inrep et Bernard Sigg, pour avoir les premières estimations : entre 250.000 et 300.000 traumatisés, parmi les quelques millions de militaires engagés. Fin 2000, un article de Florence Beaugé, journaliste au Monde évoque même le chiffre de 350.000. Combien de combattants et de civils algériens ont pâti psychologiquement de cette guerre ? Difficile d'avoir des données précises...

    Il n'est probablement pas inutile de rappeler que ce conflit a, pendant près de quarante ans, été qualifié « d'événement » et « d'opération » plutôt que de « guerre ». Il faudra attendre le 18 octobre 1999 pour qu'une loi soit adoptée par le Parlement français et substitue ce dernier terme aux deux premiers. 

    Mais il y a peut-être encore plus grave. Dans un documentaire appelé, et pour cause, La guerre sans nom, sorti en 1992 et signé Patrick Rotman, on apprend même que certains de ces vétérans n'ont toujours pas quitté l'hôpital psychiatrique trente ans après que les explosions n'ont plus retenti.

    Traumatisme, effroi : le PTSD les guette

    Il faudra finalement attendre la guerre du Viet Nam avant que l'on s'intéresse au sort des soldats perturbés. C'est précisément cet affrontement qui marquera un tournant dans la prise en charge des traumatismes de guerre. Alors que l'Amérique en avait retiré ses soldats, ils mouraient encore : suicides, consommation de drogues et overdoses, accidents inexpliqués, etc. Les chiffres officiels dénombrent davantage de victimes après l'arrêt des combats que durant les échanges de feu. Rien de plus anormal. Cela alertera les thérapeutes américains qui définiront alors le PTSD : Post Traumatic Stress Disorder, que l'on peut traduire par « syndrome de stress post-traumatiquestress post-traumatique ».

    La fameuse « gégène », comme les militaires l'appelaient, était un instrument de torture utilisé par l'armée française. Il s'agit d'une dynamo manuelle qui générait un courant électrique qui circulait dans le corps de la victime. Pourtant, à l'origine, elle devait fournir de l'énergie aux téléphones. © PRA, Wikipédia, cc by sa 30

    La fameuse « gégène », comme les militaires l'appelaient, était un instrument de torture utilisé par l'armée française. Il s'agit d'une dynamo manuelle qui générait un courant électrique qui circulait dans le corps de la victime. Pourtant, à l'origine, elle devait fournir de l'énergie aux téléphones. © PRA, Wikipédia, cc by sa 30

    Il s'agit d'un trouble de l'anxiété, consécutif à une expérience traumatisante. Il faut cependant s'accorder sur la définition du traumatisme psychique. Nous retiendrons l'acception qu'en a le psychiatre militaire François Lebigot dans Traiter les traumatismes psychiques, qui évoque la rencontre avec le réel de la mort, du néant. Lorsque l'impression d'immortalité s'échappe. Sigmund FreudSigmund Freud remarquait dans ses Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort (1915) que bien qu'aucun de nous n'ignore sa propre mortalité, nous refusons d'y croire vraiment et nous la nions. Jusqu'à ce que la mort nous effleure et qu'on la croise du regard à son passage...

    Cet événement s'accompagne toujours d'un moment d'effroi. La pensée vide, le cerveau en pause : ni affectaffect, ni représentation, même la peur ne se fait pas ressentir. Il faut le vivre soi-même pour le comprendre. Aucun récit, aucun documentaire, aussi horribles soient-ils, ne pourront le déclencher. Et le traumatisme qui s'ensuit est d'autant plus pernicieux que ce rendez-vous avec la mort était inattendu.

    La fin n’a pas justifié les moyens

    La guerre d'Algérie, comme tout conflit, a confronté ses acteurs (mais aussi certains de ses spectateurs malheureux) à ces situations effroyables. La surprise d'un attentat, la perte d'un ami, la vue de cadavres mutilés, la participation à la torture... Et puis, la fin. Lorsque les mitraillettes se sont tues, que les bombes n'explosaient plus, chacun est rentré paisiblement chez soi. Et d'un coup de stylo, celui qui ratifie les accords d'Évian, on pensait pouvoir faire table-rase du passé. Comme s'il n'en avait jamais rien été. 

    Ce stylo, il aurait également fallu en léguer un exemplaire à bon nombre de ces soldats qui, grâce à lui, auraient pu y déverser les pires souvenirs de leur récit. Mais les langues commencent petit à petit à se délier. Chez certains, pas chez tous. La parole est souvent libératrice, même si elle n'efface pas tout ce qui est passé. Elle permet d'exorciser ses peurs pour mieux les affronter. C'est ce que nous expliqueront Jacques Inrep et Boris Cyrulnik dans les articles à venir.