Des souris greffées du cœur ont survécu deux à trois fois plus longtemps lorsqu’elles entendaient de la musique classique, tandis que le New Age semble de peu d'effet. Ces mélodies pourraient bien diminuer la réponse immunitaire dirigée contre les organes transplantés. Verra-t-on débarquer les haut-parleurs dans les salles d’opération ?

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    La musique n'est pas seulement bonne pour les oreilles. Elle l'est aussi à d'autres niveaux. De nombreux travaux s'accordent à dire qu'elle a des vertus relaxantes et antistress (notamment après des attaques cardiaques), et qu'elle peut même permettre d'atténuer certaines douleurs en devenant une distraction pour ceux qui focalisent leur attention sur la mélodie.

    Mais au-delà de l'aspect apaisant, elle pourrait également jouer un rôle sur le système immunitaire. C'est en effet ce que suggèrent les recherches menées par des chercheurs de l'université Juntendo (Tokyo), qui viennent de montrer dans le Journal of Cardiothoracic Surgery que certaines musiques pouvaient augmenter assez nettement la duréedurée de vie de souris transplantées du cœur. L'opéra et la musique classique en tête.

    Quand la musique est bonne… pour la santé

    Le principe est assez simple. Les biologistes greffaient à des rongeursrongeurs le cœur d'un individu non apparenté. Cela se traduit systématiquement par un rejet du greffon, le système immunitaire ne tolérant pas des éléments étrangers à son propre corps. 

    Suite à l'opération, les animaux étaient soumis une semaine durant à différents types de musique. Un premier lot a eu droit d'écouter non stop La Traviata, un opéra de Giuseppe Verdi. Un deuxième a vécu au rythme des concertos de Mozart, un troisième groupe entendait la chanteuse Enya, de stylestyle New Age. Un quatrième groupe, lui-même subdivisé, se composait de souris confrontées à une fréquence sonore unique (six tonalités différentes : 100, 500, 1.000, 5.000, 10.000 ou 20.000 HzHz).

    Les souris ont une palette auditive plus large que la nôtre, et entendent des sons à plus haute fréquence. De plus, les musiques que nous trouvons belles rendent peut-être les souris complètement insensibles. Est-ce les émotions procurées qui sont liées à un quelconque effet thérapeutique ? © Jepoirrier, Flickr, cc by sa 2.0

    Les souris ont une palette auditive plus large que la nôtre, et entendent des sons à plus haute fréquence. De plus, les musiques que nous trouvons belles rendent peut-être les souris complètement insensibles. Est-ce les émotions procurées qui sont liées à un quelconque effet thérapeutique ? © Jepoirrier, Flickr, cc by sa 2.0

    Des souris rendues sourdes par perforation des tympans étaient placées dans un environnement dans lequel était diffusé l'opéra de Verdi et toutes ces données étaient comparées à un lot de rongeurs témoins, qui eux avaient le droit au silence.

    Les souris préfèrent l’opéra

    Les résultats semblent sans appel. Les auditeurs de La Traviata ont survécu en moyenne 26,5 jours (certains individus ayant même vécu jusqu'à 75 jours après l'opération), contre une petite vingtaine de jours pour les animaux ayant entendu les concertos de Mozart, 11 jours pour le groupe Enya, et 7 à 9 jours pour les souris soumises à un bruit monotone, tout à fait comparable aux individus sourds (8 jours) et au groupe témoin (7 jours).

    La musique a donc un effet sur la durée de vie après une transplantation cardiaque. Ces expériences montrent d'ailleurs qu'il faut bel et bien la percevoir pour obtenir un effet et que ce ne sont pas les fréquences en elles-mêmes qui sont impliquées, puisque les souris sourdes ont vécu dans un même environnement que celles entendant l'opéra.

    Pour aller plus loin, les scientifiques japonais ont alors prélevé des échantillons sanguins de manière à analyser la réponse immunitaire des souris à la greffe. Plusieurs données intéressantes émergentémergent. Les souris devenues familières avec La Traviata présentaient des taux plus faibles d'interleukine 2 et d'interféron gamma, des substances connues pour favoriser la réaction inflammatoire, tandis que les interleukinesinterleukines 4 et 10, ayant l'effet inverse, ont été retrouvées à des doses plus élevées que les autres. 

    Enfin, elles possédaient dans leur circulation sanguine davantage de lymphocyteslymphocytes T régulateurs, des cellules du système immunitaire indispensables qui évitent des réactions exagérées de l'organisme à des antigènesantigènes non dangereux.

    Les greffes sont des opérations médicales de mieux en mieux maîtrisées et de plus en plus courantes, comme ici à l'hôpital Henri-Mondor, de Créteil. Le rejet constitue l'un des principaux risques d'échec, mais heureusement les traitements immunosuppresseurs se montrent assez efficaces. © CG94, Flickr, cc by nc nd 2.0

    Les greffes sont des opérations médicales de mieux en mieux maîtrisées et de plus en plus courantes, comme ici à l'hôpital Henri-Mondor, de Créteil. Le rejet constitue l'un des principaux risques d'échec, mais heureusement les traitements immunosuppresseurs se montrent assez efficaces. © CG94, Flickr, cc by nc nd 2.0

    Un traitement contre le rejet de greffes ?

    La musique semble donc réduire la réponse immunitaire d'un organisme envers un organe greffé, augmentant les temps avant rejet. Mais les mécanismes restent encore très mal compris, et le lien qui existe entre le cerveau et le système immunitaire est encore bien mystérieux.

    Les chercheurs japonais se fixent désormais pour objectif de vérifier l'intérêt d'une telle découverte dans le cas de transplantationstransplantations chez l'Homme. Si elle repousse les délais avant le rejet de grefferejet de greffe, elle ne permet pas, semble-t-il, à l'organisme d'accepter définitivement son nouvel organe. Un traitement immunosuppresseur paraît donc encore indispensable.

    La communauté scientifique reste malgré tout méfiante. Ces travaux se sont limités à un morceau de chaque genre, l'effet peut être spécifique à chaque extrait musical ou à son enregistrement, et on ignore également quelles caractéristiques de la musique provoquent la réponse immunosuppressive. Il faudra encore attendre avant qu'un chirurgien ne prescrive à ses patients d'écouter les 14 heures de L'anneau du Nibelung, le plus long opéra du monde, composé par Richard Wagner entre 1849 et 1876.