Il y a quelques semaines, on annonçait avoir créé en laboratoire un virus H5N1 de la grippe aviaire potentiellement très contagieux et mortel. Alors que les revues Nature et Science ont respecté la consigne de ne pas dévoiler l’intégralité de la publication, Yves Thomas, en charge du Centre national suisse de la grippe à Genève revient pour Futura-Sciences sur ce débat qui passionne la communauté scientifique.

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    La grippe A H1N1 a depuis 2003 fait plus de 335 victimes dans le monde. Si ce nombre est faible à côté des désastres causés par d'autres épidémies grippales, c'est parce que la transmission de l'Homme à l'animal est peu fréquente et surtout que la tranmission d'Homme à Homme est quasi inexistante. Mais lorsque l'infection se déclare, elle est mortelle dans 58 % des cas. © Hitthatswitch, Flickr, cc by nc sa 2.0

    La grippe A H1N1 a depuis 2003 fait plus de 335 victimes dans le monde. Si ce nombre est faible à côté des désastres causés par d'autres épidémies grippales, c'est parce que la transmission de l'Homme à l'animal est peu fréquente et surtout que la tranmission d'Homme à Homme est quasi inexistante. Mais lorsque l'infection se déclare, elle est mortelle dans 58 % des cas. © Hitthatswitch, Flickr, cc by nc sa 2.0

    L'affaire avait marqué l'actualité fin 2011. Des chercheurs néerlandais, dirigés par Ron Fouchier, cherchaient à publier l'intégralité de leurs résultats sur l'obtention au laboratoire d'un virus H5N1 de la grippe aviaire hautement contagieux chez des furets et avec un taux de mortalité de près de 60 %. L'annonce avait alors créé la polémique, mais aussi la panique, ces résultats pouvant être extrapolés à l'Homme, ce nouveau variant pouvant passer d'une personne à l'autre, contrairement au H5N1 naturel.

    Les ministres de la Santé de plusieurs pays se sont même réunis à Paris le 9 décembre pour évaluer les risques, préconisant une extrême prudence face à ce tueur potentiel. Une dizaine de jours plus tard c'est le Bureau national américain de la science pour la biosécurité (NSABB) qui demandait aux revues les plus prestigieuses, Science et Nature, de ne pas dévoiler l'intégralité de l'étude, réservant les parties les plus sensibles du protocoleprotocole expérimental et des résultats aux chercheurs spécialisés, par peur de bioterrorisme. Cependant, la décision revient aux journaux puisque l'instance n'a pas le pouvoir d'empêcher la parution de l'information. D'un commun accord avec les autorités, ils ont accepté de ne pas tout dévoiler.

    Aussitôt, le tollé de nombreux scientifiques s'est fait entendre, réclamant le tout-ou-rien - le tout plus que le rien -, et surtout dénonçant la censure. Faut-il alors publier l'intégralité de l'étude et la rendre publique ? Yves Thomas, en charge du Centre national suisse de la grippe et responsable de la surveillance du virus, revient pour Futura-Sciences sur l'affaire qui n'a pas fini de faire parler. 

    Le furet est un bon modèle animal pour tester le virus de la grippe. C'est avec des mutations survenues naturellement sur le virus H5N1 de la grippe aviaire qu'un variant hautement contagieux est apparu. © Alfredo Gutierrez, Wikipédia, cc by sa 3.0

    Le furet est un bon modèle animal pour tester le virus de la grippe. C'est avec des mutations survenues naturellement sur le virus H5N1 de la grippe aviaire qu'un variant hautement contagieux est apparu. © Alfredo Gutierrez, Wikipédia, cc by sa 3.0

    Virus H5N1 dévastateur : avancée scientifique ou bioterroriste ?

    Lorsqu'un chercheur évoque ses travaux au grand public, la question qui revient systématiquement est « à quoi ça sert ? ». Quel est donc l'intérêt de créer un virus potentiellement dévastateur ?

    « Ce travail de recherche permettrait vraiment de mieux se prémunir contre l'apparition d'un nouveau variant dans la population humaine » se défend Yves Thomas. En disposant de toutes les informations, les scientifiques du monde entier pourraient alors mieux comprendre quelles sont les signatures spécifiques qui rendent possible ce haut niveau de contagion et voir si on les retrouve dans d'autres virus. « Étudier plus précisément ces acides aminés particuliers est l'une des clés de la compréhension. Alors, nous pourrions sonner l'alarme au bon moment, et non de manière un peu approximative dès qu'on suspecte qu'une pandémie pourrait se produire. »

    Oui mais voilà, ces informations contenues dans la publication ont un caractère plus sensible que ce que l'on trouve habituellement dans ce genre de revue. L'idée proposée est alors de ne fournir les éléments clés qu'aux seuls scientifiques agréés. « Le protocole, même s'il n'a été expliqué que partiellement lors du rendez-vous mondial des spécialistes de la grippe à Malte en septembre dernier, a été rendu public puisqu'il a été exposé devant un parterre de scientifiques et de journalistes. Par exemple, j'ai suffisamment de données pour tenter de reproduire l'expérience. » Des personnes mal intentionnées pourraient-elles également recréer le virus ?

    Recréer le hasard est peu probable

    Le problème est en réalité plus complexe qu'il n'y paraît à première lecture. Ron Fouchier et son équipe ont en fait passé et repassé le virus de la grippe dans des furets jusqu'à ce qu'il devienne hautement contagieuxcontagieux suite aux mutations qui l'ont affecté durant ses différents passages dans le corps de l'animal. « Cet aboutissement, c'est un peu le fruit du hasard. Si l'on essaie de réitérer l'expérience en laboratoire, cela peut prendre 15 jours avant d'y parvenir... ou 15 ans. Si on y arrive un jour. »

    Le virus H5N1 apparaît ici en doré, dans des cellules de rein de canidé, grâce à la microscopie électronique à transmission. Il est responsable de la grippe A. © <em>Center for Disease Control and Prevention</em>, DP

    Le virus H5N1 apparaît ici en doré, dans des cellules de rein de canidé, grâce à la microscopie électronique à transmission. Il est responsable de la grippe A. © Center for Disease Control and Prevention, DP

    Face à la difficulté de recréer ce H5N1 au potentiel dévastateur, les plus dubitatifs évoquent l'hypothèse du vol d'un échantillon. Mais cet acte n'est probablement pas si facile à réaliser puisque certains laboratoires contiennent les virus H1N1 de la grippe espagnole (entre 20 et 100 millions de morts selon les sources) et H2N2 de la pandémiepandémie de 1957 (2 millions de victimes selon l'OMSOMS) tandis qu'aucun vol de ce genre n'a été déclaré.

    Vers une autorité sanitaire mondiale ?

    Les partisans à la publication s'arment alors d'un autre argument pour justifier leur point de vue. Les chercheurs néerlandais ont bénéficié de financements de l'Institut national de la santé américain pour réaliser leurs expérimentations. N'aurait-il pas fallu étudier la question à ce moment-là plutôt qu'à posteriori ?

    « Il est vrai qu'à notre niveau, nous, chercheurs, ne sommes pas les mieux placés pour nous fixer des limites » reconnaît Yves Thomas, habitué comme ses collègues à manipuler régulièrement de tels pathogènespathogènes et poussé par la curiosité d'en savoir toujours plus. Faut-il alors mettre en place une autorité internationale compétente en mesure d'évaluer les risques ? La question se pose depuis plusieurs années maintenant, sous l'impulsion de différents experts. Cette affaire relance inévitablement le débat. 

    Dans cette histoire, le principe de précautionprincipe de précaution semble avoir prédominé. La balance risques/bénéfices ne met pas d'accord tous les acteurs principaux impliqués dans le débat mais les plus prudents ont le dernier mot. Pour l'instant. Car les revues Science et Nature peuvent toujours décider de révéler l'intégralité des informations. « Au regard de l'histoire, la censure n'est jamais allée dans le bon sens. La connaissance doit être diffusée pour être mieux contrôlée » conclut Yves Thomas. Peut-être est-il des sujets particulièrement sensibles qui méritent parfois le silence. C'est du moins en ce sens que les autorités sanitaires ont tranché.