Un nouveau moyen de lutte contre le virus de la dengue pourrait voir le jour. Il s'agit d'une bactérie qui en empêche la transmission. Une étape de tests à moyenne échelle a d'ores et déjà été réalisée dans deux villes d'Australie, avec succès.

au sommaire


    Aedes aegypti est responsable de la transmission du virus de la dengue, mais une bactérie pourrait bien l'en empêcher. © Marcos Texeira de Freitas, Flickr, cc by nd 2.0

    Aedes aegypti est responsable de la transmission du virus de la dengue, mais une bactérie pourrait bien l'en empêcher. © Marcos Texeira de Freitas, Flickr, cc by nd 2.0

    Le virus de la dengue, qui fait partie de la famille des flavivirus, est transmis par des moustiquesmoustiques du genre Aedes, le plus souvent Aedes aegypti. Il n'existe ni vaccin, ni médicament préventif pour cette maladie qui touche plus de 50 millions de personnes dans une centaine de pays, et les répulsifs sont soumis à controverse. D'où l'intérêt que la communauté scientifique porteporte à ce virus.

    Même si un vaccin est en cours d’élaboration et qu'il était récemment annoncé pour 2015, d'autres modes de traitement sont à l'étude. Les travaux de l'équipe de Thomas Walker et ses collègues américains et australiens visent par exemple à empêcher le moustique de transmettre le virus.

    Zones à risque pour la dengue en 2010. Les lignes isothermes montrent la limite de la zone à risque au sein de laquelle <em>Aedes aegypti</em> est présent toute l'année. © Organisation mondiale de la santé, 2010

    Zones à risque pour la dengue en 2010. Les lignes isothermes montrent la limite de la zone à risque au sein de laquelle Aedes aegypti est présent toute l'année. © Organisation mondiale de la santé, 2010

    Dans cette optique, il semblerait que la bactérie Wolbachia pipientis puisse être d'une aide précieuse. Cette bactérie, présente dans le système digestif de nombreux organismes (notamment des arthropodesarthropodes), a déjà montré qu'elle était capable d'avoir une influence très importante sur les organismes qu'elle habite, voire sur ceux qui l'entourent. Elle est notamment capable de manipuler la reproduction de son hôte, afin qu'il ne donne naissance qu'à des femelles par exemple.

    Une bactérie antitransmission

    Les chercheurs ont donc décidé d'infecter des moustiques avec cette bactérie normalement absente au sein de l'organisme de l'insecteinsecte. Les premiers résultats, publiés dans le journal Nature, sont concluants puisque les moustiques infectés par la bactérie sont incapables de transmettre le virus. Mais il y a un obstacle : affecté par la bactérie, Aedes aegypti a une espérance de vie très faible et meurt en général avant de pouvoir transmettre la bactérie à sa descendance. En effet, cette bactérie ne se transmet que de cellule à cellule et se propage donc en infectant les œufs, de génération en génération.

    Les scientifiques ont donc effectué les même tests, mais avec une souche de bactérie différente. Cette fois-ci, les résultats correspondaient exactement à ce que les scientifiques recherchaient : non seulement les moustiques infectés ne transmettent plus le virus de la dengue, mais ils vivent assez longtemps pour transmettre la bactérie à leur progéniture.

    Mais par quel mécanisme cette bactérie réussit-elle à bloquer la transmission du virus ? Bonne question, à laquelle il n'existe pas encore de réponse. Des recherches sont en cours pour en savoir un peu plus.

    Essais dans deux villes australiennes

    Cependant, l'essentiel n'est-il pas le résultat ? Pour les scientifiques, visiblement, si. Après avoir entrepris des essais couronnés de succès en laboratoire, ils ont décidé de s'attaquer à un test grandeur nature. C'est dans deux villes du nord-est de l'Australie --Yorkeys Knob et Gordonvale - que les moustiques infectés ont été lâchés.

    Taux de larves de moustiques infectées par la bactérie, retrouvées dans les pièges. Le graphique indique également les lâchers de moustiques infectés. La ligne en pointillés marque la date d'un ouragan qui a empêché un lâcher à Gordonvale et l'inspection d'un piège à Yorkeys Knob. © Hoffmann <em>et al.</em>, 2011 - <em>Nature</em>

    Taux de larves de moustiques infectées par la bactérie, retrouvées dans les pièges. Le graphique indique également les lâchers de moustiques infectés. La ligne en pointillés marque la date d'un ouragan qui a empêché un lâcher à Gordonvale et l'inspection d'un piège à Yorkeys Knob. © Hoffmann et al., 2011 - Nature

    Pour vérifier l'efficacité du traitement, Ary Hoffmann et ses collègues ont suivi la propagation de la bactérie en analysant les larveslarves de plusieurs moustiques, piégées par les dispositifs qu'ils avaient mis en place après les premiers lâchers de moustiques infectés. Les résultats, publiés dans un autre article du journal Nature, montrent que la bactérie se propage très vite. Quatre mois après le premier lâcher, 81 % et 95 % des larves observées étaient infectées par la bactérie, respectivement dans les villes de Gordonvale et Yorkeys Knob.

    Selon les scientifiques, ces résultats sont assez probants pour passer à l'étape suivante : commencer à effectuer des lâchers de moustiques dans des zones fortement touchées par la maladie (Inde, Afrique tropicale et Amérique du Sud). Le procédé a en effet un net avantage sur les autres moyens de lutte : il demande peu de temps à mettre en place (par rapport à des moustiques génétiquement modifiés par exemple) et il vient de faire ses preuves à moyenne échelle. Enfin, si ce genre de procédé est moins sujet à controverse que la mise au point de moustiques transgéniquestransgéniques, connaître le mécanisme d'action de la bactérie semble indispensable.