Nous connaissons tous les « points chauds », grands panaches mantelliques qui engendrent localement une activité volcanique intense à la surface du globe et donnent naissances à des îles comme Hawaii, la Réunion ou encore les Açores. À l’inverse, il existe dans l’océan Indien, au niveau de la dorsale sud-est indienne séparant les plaques australienne et antarctique, une zone de manteau anormalement froid. Cette singularité est appelée « point froid » de la Discordance Australie-Antarctique.


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    Située sur la dorsale sud-est indienne, entre 120 et 128°E, cette zone est caractérisée par une anomalieanomalie de profondeur de la croûte océanique mais également de la dorsale. Les données de bathymétrie montrent une zone anormalement rugueuse et extrêmement faillée, d'où le terme de « discordance » par rapport au reste du bassin océanique. Cette architecture est atypique pour une dorsale considérée comme intermédiaire, c'est-à-dire ayant un taux d'accrétionaccrétion entre 6 et 7,5 cm/an.

    Une zone de manteau anormalement froid et déprimé

    À grande échelle, la bathymétrie peut refléter les anomalies de température dans le manteaumanteau. Une zone de manteau très chaud sera plutôt bombée, c'est notamment ce que l'on observe au niveau des dorsales. À l'inverse, une zone de manteau froid sera associée à un socle comparativement plus profond. Tout n'est qu'une question de variations de densité des roches du manteau. Normalement, une dorsale intermédiaire comme la dorsale sud-est indienne est marquée par un léger bombement associé à la présence de chambres magmatiques le long de l'axe.

    C'est effectivement le cas pour cette dorsale, sauf pour le segment central marquant la Discordance Australie-Antarctique dont l'architecture et la segmentation sont plutôt typiques d'une dorsale lente et peu magmatique. Pourtant, le taux d'accrétion est sensiblement le même tout le long de l'axe. L'anomalie observée en bathymétrie n'est donc pas liée à une vitessevitesse d'accrétion localement plus faible, mais plutôt à un défaut d'apport magmatique associé à une zone de manteau froid.

    Tracé de la dorsale sud-est indienne en jaune, séparant les plaques australienne et antarctique. L’anomalie de profondeur au niveau de la dorsale associée à la Discordance Australie-Antarctique est visible entre 120° et 130°E. © Carte bathymétrique ETOPO2, NOAA, Wikipédia
    Tracé de la dorsale sud-est indienne en jaune, séparant les plaques australienne et antarctique. L’anomalie de profondeur au niveau de la dorsale associée à la Discordance Australie-Antarctique est visible entre 120° et 130°E. © Carte bathymétrique ETOPO2, NOAA, Wikipédia

    Pourquoi donc une telle anomalie de température au beau milieu du bassin océanique séparant l'Australie et l'Antarctique ? Des analyses géochimiques réalisées sur des basaltesbasaltes récupérés sur le fond océanique montrent des variations de composition entre les régions situées à l'ouest et à l'est de la Discordance Australie-Antarctique. Le point froid marquerait la transition entre un manteau d'origine pacifique à l'est et un manteau d'origine indienne à l'ouest. Mais ce n'est pas tout.

    Pourquoi donc une telle anomalie de température au beau milieu du bassin océanique séparant l’Australie et l’Antarctique ?

    Les analyses isotopiques montrent également que les basaltes de type indien dans cette zone semblent provenir d'un manteau appauvri en éléments incompatibles. Cela signifie que le manteau à l'origine des basaltes a déjà subi un ou plusieurs épisodes de fusionfusion antérieurement à la formation de la dorsale sud-est indienne.

    En effet, un manteau primitif (n'ayant jamais subi d'épisode de fusion partiellefusion partielle) contient certains éléments chimiqueséléments chimiques dits incompatibles. Lors de la fusion de ce manteau primitif, ces éléments vont migrer préférentiellement dans le fluide magmatique, laissant derrière eux un manteau appauvri ou déprimédéprimé (depleted mantle). On retrouve ce type de manteau sous les dorsales ou les points chauds par exemple, mais également dans les zones de subductionzones de subduction.

    Schéma d’une subduction montrant la plaque plongeante (le slab) et la zone de fusion partielle dans la plaque supérieure menant à un appauvrissement en éléments incompatibles du coin mantellique. © <em>Wikimedia Commons</em>, USGS
    Schéma d’une subduction montrant la plaque plongeante (le slab) et la zone de fusion partielle dans la plaque supérieure menant à un appauvrissement en éléments incompatibles du coin mantellique. © Wikimedia Commons, USGS

    Les traces d’une subduction fossile

    Dans les zones de subduction, le morceau de manteau situé au-dessus de la plaque plongeante (le slabslab) va subir de nombreux épisodes de fusion et voir sa composition chimique largement modifiée. L'hypothèse de la présence d'un slab de subduction fossilefossile orienté perpendiculairement par rapport à l'axe de la dorsale actuelle est donc intéressante pour expliquer la présence de la Discordance Australie-Antarctique. De plus, des études de tomographie sismiquetomographie sismique concordent avec ces résultats en montrant la présence d'une structure à forte vitesse, donc froide, plongeant vers l'ouest et d'axe nord-sud dans le manteau inférieur, directement sous la Discordance. Pour comprendre l'origine de ce slab, il faut reconstruire l’histoire tectonique de la région et le mouvementmouvement des plaques grâce à la paléogéographiepaléogéographie.

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    Les cryptocontinents : un mystère au centre de la Terre

    Il y a 160 millions d'années, l'Australie et l'Antarctique étaient réunis en un supercontinent nommé GondwanaGondwana. La limite est du Gondwana était alors marquée par une grande subduction orientée nord-sud : la plaque Pacifique plongeant vers l'ouest sous le bloc Australie-Antarctique. Avec l'ouverture progressive du Gondwana, cette subduction s'est éteinte il y a 130 millions d'années. Le reste du slab de la plaque pacifique se retrouverait désormais juste sous la dorsale sud-est indienne.

    Cette hypothèse a plusieurs avantages. La plaque entrant en subduction étant toujours plus froide et plus dense que le reste du manteau, cela expliquerait l'anomalie de profondeur de la croûte océanique observée dans la zone et l'idée d'un « point froid ». Deuxièmement, la présence d'un morceau de manteau appauvri au-dessus de l'ancien slab expliquerait les données géochimiques et la difficulté à extraire du magmamagma au niveau de la dorsale actuelle.

    La Discordance Australie-Antarctique est donc une particularité tectonique car elle représente le cas unique d'une dorsale active intersectant une ancienne subduction.

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