Depuis 10 ans, les températures moyennes n’auraient augmenté que de 0,02°C, soit dix fois moins que la prévision des modèles. Une observation qui alimente la rumeur d'une « illusion climatique ». Pour Yves Fouquart, physicien, ancien expert du Giec et conseiller de Futura-Sciences, cette présentation des faits est trompeuse...

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    Malgré certaines interprétations, la banquise n'a pas fini de fondre. © Rghrous CC by-nd

    Malgré certaines interprétations, la banquise n'a pas fini de fondre. © Rghrous CC by-nd

    Cette faible diminution de température est réelle mais en déduire un ralentissement du réchauffement climatique serait une erreur, d'abord, pour des raisons d'échantillonnageéchantillonnage statistique. En effet, les années précédant l'an 2000 sont caractérisées par un épisode climatique exceptionnellement chaud tandis que la période suivante a été plutôt froide. Ensuite, il faut tenir compte de l'échelle. Les mécanismes de transport d'énergieénergie, donc de chaleurchaleur, fonctionnent lentement et avec des variations de rythme qui s'étendent parfois sur plusieurs siècles. Raisonner sur une seule décennie est donc très difficile. Yves Fouquart, physicienphysicien et ancien enseignant-chercheur à l'Université de Sciences et Technologie de Lille, explique pour Futura-Sciences cette « illusion climatique » plus en détails :

    A en croire des rumeurs qui courent sur le Web, le réchauffement climatique est terminé et on assisterait déjà à l'inversion de la tendance, c'est-à-dire à un refroidissement.

    Toutes les rumeurs ne sont pas nécessairement fondées ou, dit autrement, il peut y avoir fumée sans feufeu... Mais dans le cas présent, il existe bien une base objective : si on compare l'évolution des températures dans les années 1990 et dans les années 2000 (voir la figure 1), il est indéniable que le rythme a changé. Toute la question est de savoir s'il est raisonnable ou non d'en conclure que le réchauffement s'est arrêté.

    Figure 1 : Anomalie de la température globale (en degrés Celsius, <a href="http://www.cru.uea.ac.uk/cru/data/temperature/" target="_blank">données HadleyCRUT3v</a>)<br />Le segment noir représente la barre d’incertitude. La courbe rouge est une moyenne glissante sur 5 années. Le dernier point à droite représente la température moyenne calculée sur les neuf premiers mois de 2009.

    Figure 1 : Anomalie de la température globale (en degrés Celsius, données HadleyCRUT3v)
    Le segment noir représente la barre d’incertitude. La courbe rouge est une moyenne glissante sur 5 années. Le dernier point à droite représente la température moyenne calculée sur les neuf premiers mois de 2009.

    Le pivot est l'année 1998 (voir la figure 1) et si l'on compare 1998 et 2008, la température globale a bel et bien diminué (de 0,1 ou 0,2 °C suivant les sources) mais c'est totalement fallacieux : l'année 1998 a été marquée par l’évènement El Nino le plus puissant de ces soixante dernières années alors que 2008 l'a été, au contraire, par un évènement La NinaLa Nina d'intensité moyenne. Or ces évènements ont pour conséquence une augmentation (El NinoEl Nino) ou une diminution (La Nina) de la température annuelle globale de quelques dixièmes de degré. Autant dire que la taille des Présidents de la République diminue depuis De Gaulle.

    Quoiqu'il en soit, il faut savoir que le climat est la moyenne du temps météorologique sur plusieurs décennies. Par convention, on a choisi de prendre au minimum 30 ans. Sur la période 1979 - 2008, la pente est très nettement positive : 0,16 °C par décennie, très proche du 0,2 °C prévu par les modèles climatiques.

    Les données partielles de l'année 2009 confirment bien à quel point il est illusoire de conclure sur des périodes trop courtes (voir le dernier point de la figure 1). On notera en particulier que septembre 2009 est le deuxième mois le plus chaud de ces 150 dernières années, derrière 1998 justement. En conclure que le réchauffement est reparti au galop serait tout aussi infondé.

    Par ailleurs, toutes ces mesures sont entachées d'incertitudes qui découlent essentiellement des lacunes des réseaux d'observation. L'Organisation Météorologique Mondiale (OMM) relève par exemple dans sa Déclaration sur l'état du climat mondial en 2007 : «  Ces incertitudes sont telles que 2007 pourrait être l'année la plus chaude, mais pourrait aussi se placer au neuvième rang des années les plus chaudes depuis le début des relevés ».

    La réponse à la question initiale est donc non. Il n'est pas scientifiquement raisonnable de parler d'arrêt du réchauffement.

    La variabilité pluridécennale

    N'empêche, il y a bien eu changement de rythme, tout comme il y a eu accélération du réchauffement à la fin des années 1970. Ces changements de rythme n'ont rien à voir avec les émissionsémissions de gaz à effet de serre. Ils résultent des échanges de chaleur entre les deux principaux sous-systèmes du climat : l'atmosphèreatmosphère et l'océan. L'océan accumule de la chaleur sous les tropiquestropiques et la redistribue aux hautes latitudeslatitudes mais il prend son temps  L'atmosphère, au contraire, est très rapide.

    Ces différences de régime sont la cause de ces oscillations dont les échelles de temps vont de l'année, quand il s'agit de l'océan équatorial, à plusieurs dizaines d'années quand tout un bassin océanique est concerné, voire plusieurs siècles quand on considère la circulation thermohalinecirculation thermohaline. Ces oscillations sont d'autant plus importantes que les océans transportent à peu près la même quantité de chaleur que l'atmosphère.

    La plus connue de ces oscillations est évidemment El Nino, c'est aussi celle qui se produit le plus fréquemment avec une période caractéristique de 2 à 5 ans. Les autres oscillations qui concernent des bassins océaniques entiers ont des périodes de plusieurs dizaines d'années : les deux principales sont sans doute la PDO (Pacific Decadal Oscillation) et l'AMO (Atlantic Multidecadal Oscillation).

    Figure 2 : structure spatiale de la température de surface du Pacifique dans les cas de phase chaude de la PDO (à gauche) et de phase froide à (droite). © <em>Joint Institute for the Study of the Atmosphere and Ocean</em>
     
    Figure 2 : structure spatiale de la température de surface du Pacifique dans les cas de phase chaude de la PDO (à gauche) et de phase froide à (droite). © Joint Institute for the Study of the Atmosphere and Ocean

    La PDO a une pseudo-période d'une vingtaine d'années, celle de l'AMO est de l'ordre d'une soixantaine d'années. Chacune de ces oscillations influence la température globale. Pour la PDO, on pense que son effet pourrait atteindre 0,2°C. Pour l'AMO, compte tenu du peu de recul pendant la période instrumentale, il faut être prudent mais il est clair que l'influence de ces oscillations au cours d'une décennie est du même ordre de grandeurordre de grandeur que le réchauffement d'origine anthropique. Elles peuvent donc l'atténuer notablement voire le masquer complètement ou, au contraire, l'amplifier.

    Clairement, oscillations océaniques et réchauffement anthropique ont joué dans le même sens dans les années 1990 mais dans des sens opposés depuis le début de ce siècle.

    A cette échelle de temps, l'influence du cycle solaire n'est pas non plus négligeable, on la chiffre entre 0,1 et 0,2°C.

    Vers une prévision à l’échelle décennale

    Dès les années 1970, la communauté scientifique s'est penchée à la fois sur le problème de la tendance à long terme du climat et sur celui des détails de cette évolution. Dès cette époque, on a mis en place de vastes programmes de recherche océanographiques axés d'une part sur l'océan tropical (TOGA : Tropical Ocean and the Glogal Atmosphere) et concerné au premier chef par El Nino et d'autre part sur l'océan global (WOCE : World Ocean Circulation Experiment). C'est à WOCE, par exemple que l'on doit le déploiement des bouées Argo qui permettent une surveillance continue et cohérente de l’océan global.

    Les progrès ont été plus rapides concernant la tendance à longue échéance parce que le problème est paradoxalement plus simple : c'est un problème de conditions aux limites, la principale cause d'incertitude réside dans l'évaluation des rétroactionsrétroactions du système. C'est pour cette raison que le GiecGiec ne présentait jusqu'à présent que ce type de prévisions.

    Pour la prévision des détails de cette évolution, la tache est plus ardue puisqu'il faut pouvoir tenir compte de ces oscillations dont l'effet est forcément lissé sur le long terme mais qui influencent très directement le climat des toutes prochaines décennies. C'est cependant essentiel si l'on veut mettre en œuvre des politiques d'adaptation aux changements qui apparaissent inéluctables de toute manière. La Troisième Conférence Mondiale sur le Climat (WCC-3) qui vient de se tenir à Genève au mois d'aout a donné le coup d'envoi officiel de ce type de prévisions et une partie des simulations en cours pour le prochain rapport du Giec s'attaque explicitement à ce problème.