Depuis les années 1990, un papillon venu d'Amérique du sud, Paysandisia archon, attaque les palmiers au nord de la Méditerranée, du Portugal à la Turquie et de la Grèce au Royaume-Uni. Alors que les dégâts deviennent considérables, la lutte contre ce parasite s'intensifie. Plusieurs pistes sont explorées, comme l'utilisation d'autres insectes ou de trompeurs signaux biochimiques. Mais la voie la plus prometteuse est celle... de la colle. Jean-Benoît Peltier, de l'Inra, nous explique.

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    Paysandisia archon, dessiné par Jules Culot (1861-1933) en 1914. © Licence Commons

    Paysandisia archon, dessiné par Jules Culot (1861-1933) en 1914. © Licence Commons

    Marron quand il est immobile, joliment coloré quand il déploie ses quatre ailes, le papillon Paysandisia archon est né en Amérique du sud. On le connaît en Argentine et en Uruguay. Pour pondre, les femelles choisissent un palmier et déposent leurs œufs à l'aisselle des feuilles. Une fois écloses, les larves dodues gagnent le cœur de l'arbre et y trouvent une nourriture abondante. Le palmier n'apprécie guère et peut mourir si les larves sont nombreuses.

    On situe au début des années 1990 le moment où ce lépidoptère a commencé à traverser l'océan Atlantique. L'insecte ne voyage pas par ses propres moyens, bien sûr. Ce sont les hommes qui, obligeamment, transportent les larves lorsqu'un pays européen décide d'importer des palmiers d'ornement pour décorer les villes. Le premier voyage a semble-t-il débarqué le parasite en Espagne mais d'autres traversées ont eu lieu ensuite, amenant Paysandisia dans bien d'autres pays.

    Aujourd'hui, l'insecte est présent au Portugal, en Espagne, en France, en Italie, en Grèce, en Turquie et même au Royaume-Uni. Il y fait des ravages. La femelle ne pond que dans les palmiers, quelle qu'en soit l'espèceespèce, mais manifeste des préférences marquées pour certaines d'entre elles. A Montpellier, 90% des Trachycarpus ont disparu et l'insecte se rabat désormais sur le PhoenixPhoenix, un palmier de grande taille. C'est dans cette ville qu'une équipe de SupAgro (Inra), le Groupe de Réflexion et d’Action Contre les Ravageurs du Palmier (Jean-Benoît Peltier et Marc Tauzin), s'acharne avec très peu de moyens, à trouver une parade.

    Les quatre phases de la vie de <em>Paysandisia archon</em> : les œufs, la larve dévoreuse de palmier, la chrysalide et l'adulte. © Jean-Benoît Peltier

    Les quatre phases de la vie de Paysandisia archon : les œufs, la larve dévoreuse de palmier, la chrysalide et l'adulte. © Jean-Benoît Peltier

    Une méthode au point et un produit enfin commercialisable

    Le Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) vient également de s'atteler à la tâche. Laurence Ollivier entend explorer la lutte biologique. Le recours aux insecticidesinsecticides ne semble en effet pas la bonne solution. La lutte chimique est un peu passée de mode et, de plus, la diffusiondiffusion d'un produit déposé au sol est moins efficace dans un palmier que dans un arbre ligneux. Pour atteindre des larves endophages profondément enfoncées dans le tronc, il faudrait des quantités importantes ou un produit très toxique. L'équipe du Cirad espère trouver un insecte parasite qui se nourrirait des œufs. Une autre voie est celle des kairomones, ces substances émises par un organisme et qui, trahissant sa présence, attirent un prédateur ou un parasite. Le papillon dévoreur de palmier pourrait répondre à ce genre de signal, ce qui permettrait peut-être de le leurrer.

    A Montpellier, une méthode toute différente a démontré son efficacité. Il s'agit de badigeonner une partie de l'arbre à l'aide d'une substance épaisse et collante qui empêche les femelles de pondre des œufs ou, s'ils sont déjà présents, qui interdit aux larves de sortir de l'arbre. La solution est envisageable car l'insecte choisit une zone réduite du palmier, juste sous le panache de feuilles, sur une quarantaine de centimètres.

    Un palmier traité à la glu, appliquée à l'endroit où l'insecte attaque, en haut du tronc, sous les feuilles. © Marc Tauzin

    Un palmier traité à la glu, appliquée à l'endroit où l'insecte attaque, en haut du tronc, sous les feuilles. © Marc Tauzin

    En 2006, l'équipe montpelliéraine a mis au point une glu, composée d'huiles végétales, de colophane et de latex naturellatex naturel. « Nous voulions trouver un produit peu coûteux, efficace en une seule applicationapplication annuelleannuelle et sans danger pour l'environnement, explique Jean-Benoît Peltier. Les matièresmatières premières sont naturelles et le produit final étant hydrophobehydrophobe, il ne peut pas envahir les eaux environnantes. »

    Effectuée sur le temps libre des chercheurs, cette étude a abouti à un produit efficace. Sur le campus de SupAgro (600 palmiers) puis dans Montpellier (300 arbres) et enfin dans d'autres villes et même des collections privées, l'équipe a pu traiter mille à deux mille palmiers par an. La glu est déposée en juin, quand l'insecte commence à pondre et la protection dure jusqu'en septembre. Résultat : 98,5% des arbres traités ont été débarrassés du parasite. « De plus, dans les 1,5% d'arbres encore infestés en septembre, un certain nombre de larves ne pourront pas sortir » ajoute Jean-Benoît Peltier.

    L'équipe a également mis au point la méthode d'application de ce produit trop épais pour les matériels habituels et utilise... des appareils à répandre le crépicrépi sur les mursmurs d'un bâtiment. Mais comme cette glu est un produit phytosanitaireproduit phytosanitaire, elle ne peut être commercialisée qu'après l'obtention d'une Autorisation de mise sur le marchéAutorisation de mise sur le marché, ou AMM. Le dossier doit être discuté au niveau national puis au niveau européen. Trois ans après la mise au point du produit, la Commission européenne vient de statuer, en mars dernier, que cette glu, puisqu'elle n'est qu'une barrière physiquephysique... n'a pas besoin d'une AMM.

    Des contacts avec des industriels ont déjà été pris. Peu coûteuse (quelques euros par litre), cette glu, dont la méthode d'application est au point, pourrait donc se retrouver dans le commerce dès l'année prochaine. Les femelles de Paysandisia archon pourraient alors avoir bien plus de mal à trouver des lieux de pontes...