De même que Jules Verne avait inspiré, avec H.G Wells, les pionniers de l’astronautique qu’étaient Tsiolkovski, Von Braun et Goddard, de même la génération actuelle d’ingénieurs et d’astrophysiciens qui a construit les sondes spatiales comme Cassini, et qui en exploitent les données, est, elle, l’héritière d’Arthur C. Clarke et de son roman «2001 l’Odyssée de l’Espace». C’est sans doute pour lui rendre hommage que les ingénieurs du Jet Propulsion Laboratory lui ont demandé quelques commentaires sur le survol alors imminent de Japet du lundi 10 septembre 2007.

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    Arthur C. Clarke (Crédit : NASA/JPL).

    Arthur C. Clarke (Crédit : NASA/JPL).


    Bande annonce de 2001

    Le film de Stanley Kubrick, adapté du roman de Sir Arthur, qui aura 90 ans le 16 décembre de cette année, est probablement l'un des plus beaux films de science-fiction réalisés et, avec le roman de Clarke, il est devenu un véritable mythe. Initialement, dans le roman, Dave Bowman découvrait un second monolithemonolithe noir, une énigmatique constructionconstruction extraterrestre dont  un premier exemplaire avait été déterré sur la Lune, autour du satellite de SaturneSaturne, JapetJapet. Comme l'explique Arthur Clarke dans la vidéo dont le texte en anglais est fourni ci-dessous, les choses en ont été autrement dans le film. Pour tous les fans de 2001 le survolsurvol de 2007 est donc particulièrement émouvant.

    Pour ceux qui ne connaitraient pas "2001", un excellent exposé en français sur le roman et le film peut se trouver sur les sites suivants.

    Transcript en français (merci à mmy du forum) :

    Salut ! Ici Arthur Clarke, en ligne depuis ma demeure à Colombo, Sri Lanka.

    Je suis très heureux de prendre part à cette cérémonie qui marque le survol de Japet par Cassini.

    Mes salutations à tous mes amis - connus et inconnus - qui sont réunis pour cet événement important.

    Je souhaiterais être avec vous, mais je suis maintenant cloué sur un fauteuil roulant par la Polio, et je ne quitterai plus le Sri Lanka.

    Grâce à InternetInternet, j'ai suivi la progression de la mission Cassini-Huygens depuis le moment de son lancement, il y a plusieurs années. Comme vous le savez, j'ai plus qu'un intérêt passager pour Saturne.

    J'ai été vraiment stupéfié, début 2005, quand la sonde Huygens a renvoyé un enregistrement sonore depuis la surface de TitanTitan. C'est exactement ce que j'avais décrit dans mon roman de 1975, Planète Impériale, quand mon personnage écoute les ventsvents balayant les plaines désertes.

    Peut-être était-ce un avant-goût de choses à venir ! Le 10 septembre, si tout se passe comme prévu, Cassini devrait nous donner la vue plus rapprochée de Japet que l'on ait jamais eue - l'une des plus intéressantes des lunes de Saturne.

    La moitié de Japet apparaît aussi sombre que le goudron, et l'autre moitié aussi brillante que la neige. Quand Giovanni Cassini [NdT: Jean-Dominique CassiniJean-Dominique Cassini dans les textes français] découvrit Japet en 1671, il ne put voir que le côté brillant. Nous en avons eu un meilleur aperçu quand Voyager 2Voyager 2 la survola en Août 1981 - mais c'était à presque un million de kilomètres de distance.

    En comparaison, Cassini va passer à un petit peu moins de mille kilomètres de Japet.

    C'est un moment particulièrement excitant pour les fans de 2001: l'odyssée de l'espace - parce que c'est l'endroit où l'astronaute solitaire Dave Bowman découvre le monolithe de Saturne, qui se révèle être la passerellepasserelle vers les étoiles.

    Le chapitre 35 du roman a pour titre "l'Oeil de Japet", et contient ce passage:

    "Japet approchait si lentement qu'elle donnait à peine l'impression de bouger, et il fut impossible de dire à quel moment exact elle cessa d'être un corps céleste pour devenir un paysage, quatre-vingt kilomètres plus bas. Les fidèles moteurs vernier donnèrent leurs dernières bouffées de poussée, puis s'éteignirent à tout jamais. Le vaisseau suivait son orbite finale, complétant une révolution toutes les trois heures a quelques 1300 kilomètres par heure - toute la vitessevitesse qui était nécessaire dans ce faible champ gravitationnel." [NdT: Ma traduction, je n'ai pas le roman en français sous la main]

    Plus de 40 ans plus tard, je ne peux plus me rappeler pourquoi j'ai placé le monolithe de Saturne sur Japet. A cette époque, aux premiers jours de l'Age de l'Espace, les télescopestélescopes sur Terre ne pouvaient montrer aucun détail de ce corps céleste. Mais j'avais depuis toujours éprouvé une étrange fascination pour Saturne et sa famille de lunes. Incidemment, cette 'famille' a grossi à un rythme impressionnant ! Quand Cassini a été lancée, nous ne connaissions que 18 lunes. Si je comprends bien, nous en sommes à 60 - et le compteur tourne. Je ne résiste pas à la tentation de dire:

    Mon Dieu, c'est plein de lunes !

    Mais dans le film, Stanley Kubrick décida de placer l'action à JupiterJupiter, et pas Saturne. Pourquoi ce changement ? Eh bien, d'une part cela faisait un récit plus direct. Et, plus important, le département des effets spéciaux ne put pas produire une Saturne que Stanley trouva convaincante.

    C'était tout aussi bien car s'ils avaient réussi, le film aurait paru bigrement daté suite aux missions Voyager, qui montrèrent les anneaux de Saturneanneaux de Saturne encore moins plausibles que tout ce qu'on avait pu imaginer.

    J'ai vu pas mal de cas où la Nature imite l'art, et je garde les doigts croisés en attendant ce que Cassini va découvrir sur Japet.

    Je tiens à remercier tout ceux qui participent à cette mission et au projet dans son ensemble. Il peut lui manquer la séduction des vols habitésvols habités, mais les projets scientifiques sont bien plus importants pour la compréhension du Système SolaireSystème Solaire. Et, qui sait, un jour peut-être notre survie sur Terre dépendra de ce que nous découvrons là-bas.

    C'était Arthur Clarke, qui vous souhaite un survol réussi.

    Transcript en anglais :

    Hello! This is Arthur Clarke, joining you from my home in Colombo, Sri Lanka.

    I'm delighted to be part of this event to mark Cassini's flybyflyby of Iapetus.

    I send my greetings to all my friends - known and unknown - who are gathered for this important occasion.

    I only wish I could be with you, but I'm now completely wheelchaired by Polio and have no plans to leave Sri Lanka again.

    Thanks to the World Wide Web, I have been following the progress of Cassini-Huygens mission from the time it was launched several years ago. As you know, I have more than a passing interest in Saturn.

    And I was really spooked in early 2005, when the Huygens probe returned sound recordings from the surface of Titan. This is exactly what I had described in my 1975 novel Imperial Earth, where my character is listening to the winds blowing over the desert plains.

    Perhaps that was a foretaste of things to come! On September 10, ifif everything goes according to plan, Cassini would give us our closest look at Iapetus - one of Saturn's most interesting moons.

    Half of Iapetus appears as dark as asphalt, and the other half is as bright as snow. When Giovanni Cassini discovered Iapetus in 1671, he could only see the bright side. We had a better glimpse when Voyager 2 flew past in August 1981 - but that was from almost a million kilometers away.

    In contrast, Cassini is going to come within a little over one thousand kilometers of Iapetus.

    This is a particularly exciting moment for fans of 2001: A Space Odyssey - because that's where the lone astronaut Dave Bowman discovers the Saturn monolith, which turns out to be a gateway to the stars.

    Chapter 35 in the novel is titled 'The Eye of Iapetus', and it contains this passage:

    "Iapetus was approaching so slowly that it scarcely seemed to move, and it was impossible to tell the exact moment when it made the subtle change from an astronomical body to a landscape, only fifty miles below. The faithful verniers gave their last spurts of thrust, then closed down forever. The ship was in its final orbit, completing a revolution every three hours at a mere eight hundred miles an hour - all the speed that was necessary in this feeble gravitationgravitation field."

    More than 40 years later, I cannot remember why I placed the Saturn monolith on Iapetus. At that time, in the early days of the Space Age, earth-based telescopes couldn't show any details of this celestial body. But I have always had a strange fascination for Saturn and its family of Moons. By the way, that 'family' has been growing at a very impressive raterate. When Cassini was launched, we knew of only 18 moons. I understand it is now 60 - and counting.I can't resist the temptation to say:

    My God, it's full of moons!

    But in the movie, Stanley Kubrick decided to place all the actions at Jupiter, not Saturn. Why this change? Well, for one thing it made a more straightforward storyline. And more important, the special effects department couldn't produce a Saturn that Stanley found convincing.

    That was just as well because if they had done so, the movie would have been badly dated by the Voyager missions, which showed Saturn's rings to be far more implausible than anyone had ever imagined.

    I have seen enough instances where Nature imitates art, so I'm going to keep my fingers crossed on what Cassini discovers at Iapetus.

    I want to thank everyone associated with this mission and the overall project. It may lack the glamour of manned spaceflight, but science projects are tremendously important for our understanding of the Solar System. And who knows, one day our survival on Earth might depend on what we discover out there.

    This is Arthur Clarke, wishing you a successful flyby.