Le 21 Août 2006 est très probablement maintenant une date historique dans la longue quête de l'humanité pour comprendre l'Univers qui l'entoure et se comprendre elle même comme une part de cet Univers.

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    Selon toute vraisemblance, nous avons maintenant la preuve que la majorité de la matière dans l'Univers ne ressemble à rien de ce qu'on connaît sur Terre ou que l'on sait fabriquer en accélérateur à ce jour.

    Cela faisait longtemps que les astrophysiciensastrophysiciens et les cosmologistes le suspectaient. Que ce soit pour comprendre l'origine des galaxies, la vitesse à laquelle les étoiles se déplacent autour du bulbe central de celles-ci, ou la façon dont les galaxies tiennent ensemble dans un amas, tout indiquait la présence d'une massemasse supplémentaire, sous forme d'une matière n'interagissant que très faiblement avec elle-même et la matière normale, une matière non lumineuse et presque fantomatique qualifiée justement de matière noire !

    « Il est inconfortable pour un scientifique d'avoir à invoquer quelque chose d'invisible et de quasiment indétectable, pour rendre compte de 90% de la matière dans l'Univers » déclare Maxim Markevitch, un des membres de l'équipe ayant utilisé le satellite d'observation en rayons Xrayons X ChandraChandra, lors de la conférence de presse de ce jour organisée par la NasaNasa, et actuellement en poste au célèbre centre d'astrophysiqueastrophysique Harvard Smithsonian.

    La théorie MOND

    Cette déclaration résume parfaitement le malaise ressenti par une partie de la communauté scientifique qui avait fini par suivre une autre approche pour résoudre ces énigmes, celle indiquée à partir de 1983 par Mordehai Milgrom de l'institut Weizmann.

    Celui-ci avait alors posé la question suivante « Sommes nous sûrs qu'à l'échelle des galaxies la loi de la gravitationgravitation soit toujours conforme à celle de NewtonNewton? ». A la suite de quoi, il avait proposé MOND, acronyme de MOdified Newtonian Dynamics. Surprise ! Non seulement il arrivait à retrouver les observations faites au niveau des galaxies, mais il avait même fait une prédiction à propos de la luminositéluminosité d'une classe particulière de galaxies qui allait se révéler exacte. Les années passant, MOND devenait une alternative de plus en plus crédible, même si les observations récentes comme celles de WMAP faisaient plutôt pencher la balance en faveur de la matière noire.

    Comment départager les deux théories?

    La réponse vient de nous être fournie par la nature elle-même, avec l'amas de galaxiesamas de galaxies 1E0657- 56 !

    Dans un amas, on sait qu'une part importante de la masse se trouve sous forme de gazgaz à haute température (des millions de degrés) émettant des rayons X détectables par le satellite Chandra. La masse de ce gaz est plus importante que celle des galaxies composant l'amas, on sait aussi que les galaxies s'y déplacent à grande vitesse.

    Le problème est que ce gaz est tellement chaud et les galaxies si rapides que les amas devraient s'être dissipés depuis longtemps, sauf si l'on postule une masse encore plus grande que celle du gaz sous forme de particules de matière noire remplissant l'amas, ou toujours en modifiant la loi d'attraction gravitationnelle selon MOND.

    Or, dans le cas 1E0657- 56, on a mis en évidence le phénomène suivant : deux amas sont entrés en collision, le plus petit traversant le plus grand telle une balle à travers de la fumée. On le voit clairement sur l'image suivante réalisée en rayons X.

    La zone rouge étant la moins lumineuse, on voit bien la zone la plus brillante<br />responsable du nom de l'amas, le « Bullet cluster »

    La zone rouge étant la moins lumineuse, on voit bien la zone la plus brillante
    responsable du nom de l'amas, le « Bullet cluster »

    Sous l'impact, les deux nuagesnuages de gaz de matière normale, associés aux galaxies, vont se freiner mutuellement, s'échauffer et se séparer en grande partie des galaxies proches de chaque amas qui, eux, vont continuer tranquillement leur chemin.

    Si MOND était l'explication des anomaliesanomalies mentionnées précédemment, une cartographie de la masse de la matière dans cette collision devrait montrer un maintien de l'association de la composante principale de la masse avec le gaz chauffé en rayons X.

    Et c'est justement ce qu'on n'observe pas !

    En effet, à l'aide de télescopestélescopes effectuant des observations dans le visible, il a été possible de remonter à la distribution de masse en employant le phénomène de lentille gravitationnellelentille gravitationnelle prédit par EinsteinEinstein il y a longtemps. Les télescopes Magellan, HubbleHubble et ceux du VLTVLT ont ainsi été mis à contribution.

    On le sait, la gravitation selon la relativité généralerelativité générale courbe la trajectoire des rayons lumineux, comme le ferait une lentille, plus la masse d'un objet est importante, plus cet effet est fort.
    Dans le cas d'un amas, la situation peut se représenter avec l'image ci-dessous.

    Les rayons lumineux issus d'une galaxie donnent ainsi une image double,  en raison de leur déviation par l'amas.

    Les rayons lumineux issus d'une galaxie donnent ainsi une image double, en raison de leur déviation par l'amas.

    L'équipe de la NASA a ainsi déterminé grâce à cela la carte suivante.

    En bleu les zones où la concentration de masse est la plus importante

    En bleu les zones où la concentration de masse est la plus importante

    Si l'on superpose les images en rayons X et les indications obtenues en optique, on obtient cette séquence avec d'abord une image des galaxies de l'amas, puis le gaz chaud et finalement la matière noire. En rose, c'est la localisation du gaz de matière normale déterminée par Chandra, en bleu, la masse de matière noire déterminée par l'effet de lentille gravitationnelle. La séparationséparation est clairement visible, et on peut même imaginer et reconstituer approximativement l'historique de la collision et de ses effets. Ce qu'on peut voir avec cette vidéo, illustrant la séparation des deux types de matières.

    La conclusion du responsable principal de ces études, Douglas Clowe de l'Université de l'Arizona, a donc été la suivante : « ces résultats sont la preuve directe de l'existence de la matière sombrematière sombre ». Sean Carroll, une des stars de la cosmologiecosmologie, en poste à l'Université de Chicago et lui aussi présent à la conférence du 21 Août, ajoute alors: « Ceux-ci devront être pris en compte dans les futures théories, tandis que nous avancerons pour comprendre la nature réelle de la matière noire ».

    Quelle peut-être en effet la nature de cette matière noire, et pourrons-nous, un jour, l'observer directement ?

    Les candidats les plus convaincants sont l'axionaxion et des particules supersymétriques comme les neutralinosneutralinos. De manière générale, on parle souvent de « weakly interactive massives particles » ou WIMPSWIMPS. Il semble qu'il soit possible de les détecter sur Terre ou de les produire en accélérateur, avec le LHCLHC à Genève dans les années à venir par ex

    Au final, on peut déjà dire que non seulement la confiance en l'existence réelle de la matière noire est devenu beaucoup plus forte, mais c'est aussi le modèle du Big BangBig Bang qui se trouve raffermi. Les différentes observations et mesures de ces dernières années, portant sur des objets et phénomènes astrophysiques variés, comme pour le CMBCMB et WMAPWMAP récemment, montrent une fois de plus, une remarquable concordance en accord avec ce modèle.