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    Ig Nobel de biologie : des bébés à tour de bras

    Ig Nobel de biologie : des bébés à tour de bras

    L'obstétricien Cecil Jacobson était devenu le héros de très nombreuses femmes en mal d'enfants. Il avait en effet une recette miracle pour que leurs tests de grossessestests de grossesses se retrouvent positifs... Une recette qui lui valut d'être lauréat du prix Ig Nobel de biologie.

    Le prix Ig Nobel de biologie fut attribué à un obstétricien qui semblait avoir la formule miracle pour donner des enfants aux femmes désespérées... © etolane, Flickr CC

    Le prix Ig Nobel de biologie fut attribué à un obstétricien qui semblait avoir la formule miracle pour donner des enfants aux femmes désespérées... © etolane, Flickr CC

    Le docteur Cecil Jacobson fut toujours un homme de ressources. Certains plaisantent. D'autres non. D'un côté, il faut mentionner ces innombrables bébés qui n'ont jamais vu le jour, mais dont il révéla l'existence à des centaines de femmes, prétendant qu'elles étaient enceintes, alors que c'était faux. Mais par ailleurs, le docteur Jacobson fut aussi le vrai père biologique d'un nombre considérable d'enfants. Cependant, en ce cas, il omettait systématiquement d'en avertir ses patientes...

    À Vienna, l'un des riches faubourgs de Washington (Virginie), le docteur Cecil Jacobson dirigeait une clinique spécialisée dans les problèmes de fécondité. Son job ? Aider les femmes à devenir enceintes. Le personnel de la clinique se composait du docteur Jacobson, seul médecin, et d'un groupe fluctuant de tâcherons, comme Joyce (son épouse), certains enfants issus de leur imposante progéniture, et, jusqu'à ce que l'argent vînt à manquer, quelques employés administratifs en petit nombre.

    Une réputation élogieuse... mais incomplète

    Les clients affluaient. Le docteur bénéficiait en effet d'une réputation flatteuse, fondée sur des débuts réellement prometteurs, et enrichie ensuite par des années de vantardise. Au sortir de l'université, il avait fait partie des pionniers de l'amniocentèseamniocentèse (1) pour diagnostiquer la santé du fœtusfœtus au début de son développement. Mais après cela, il avait migré d'hôpital en hôpital, au gré de ses divers patrons, jusqu'à ce qu'ils s'aperçoivent qu'il se payait plus de mots que de véritable travail. Pourtant, malgré ces licenciements successifs, le bon docteur continuait toujours à se parer de ses anciens titres.

    Les couples en mal d'enfant sont souvent désespérés. Heureusement, dans la région de Washington, il y avait le bon docteur Jacobson. C'est vers lui que convergeaient les cas les plus désespérés et les femmes les plus angoissées. À la différence des autres obstétriciens, le docteur Jacobson examinait rarement ses nouvelles patientes. De même, il ne posait généralement aucune question. Tout ce qu'il faisait, c'était parler. Facile pour ce beau parleur ! Il lui suffisait d'affirmer qu'elles allaient tomber enceintes grâce à lui. C'était garanti ! Une seule consigne pour cela : qu'elles fassent l'amour avec leur mari avec assiduité et application. Une relation sexuelle quotidienne pendant plusieurs semaines, préconisait-il.

    Le docteur Jacobson disait aider les femmes à tomber enceintes. © DR

    Le docteur Jacobson disait aider les femmes à tomber enceintes. © DR

    Des injections miraculeuses

    Mais le secret - et tout son génie - se trouvait ailleurs. En fait, Jacobson pratiquait sur ses patientes des injections de gonadotrophine chorionique (HCG), une hormonehormone généralement inoffensive. Mais, pour lui, cela représentait un double avantage. D'abord cela lui rapportait gros, car il faisait payer chaque piqûre, n'hésitant pas à en prescrire parfois des dizaines et des dizaines à une même patiente. À la fin, il en achetait de telles quantités que sa petite clinique à un seul docteur devint, dit-on, un des principaux acquéreurs de HCG au monde ! Ce qui lui permit de faire baisser les prix et de pratiquer une très généreuse culbute grâce à ses tarifs surévalués.

    Mais ces injections de HCG avaient une autre vertu, particulièrement heureuse sur ses patientes. Avec de tels taux dans le sang, beaucoup d'entre elles réagissaient positivement aux tests de grossesse. Ainsi, on a l'exemple d'au moins un cas où le docteur Jacobson affirma à une femme de 49 ans, ménopausée, qu'elle tomberait bientôt enceinte. Il lui injecta des wagons de HCG et, hop, voilà que les tests prédirent l'arrivée d'un futur marmot.

    Après avoir fait part de la « bonne nouvelle », le docteur Jacobson passait aux ultrasons pour produire une image floue - extrêmement floue - de ce qu'il affirmait être le fœtus. Il n'en fallait pas plus pour faire tourner la tête aux prétendus parents. Au fil des mois et des semaines, il multipliait alors les sonogrammes, produisant chaque fois de nouvelles images, toujours aussi indéchiffrables, du fœtus en cours de développement.

    Bien sûr, le bon docteur, arguant de quelque mystérieuse menace qui mettrait leur grossesse en péril, prenait soin de prévenir ces femmes faussement enceintes de ne surtout pas consulter leur obstétricien habituel. Celles qui bravèrent l'interdiction furent grandement surprises ! Cependant, lorsqu'une de ces femmes en détresse retournait voir le docteur, celui-ci avait toujours le fin mot de l'histoire : la grossesse s'était achevée par une fausse-couchefausse-couche spontanée, le fœtus ayant été complètement « absorbé » dans le corps de sa mère, sans laisser la moindre trace ! Pas grave... Dans ce cas, il n'y avait qu'à repartir pour une nouvelle série d'injections HCG et recommencer à faire l'amour de plus belle.

    Ce n'était que moyennement drôle : plusieurs patientes vécurent à plusieurs reprises ces épreuves, endurant des années de peines et de faux espoirs.

    Cecil Jacobson, papa biologique de 75 enfants !

    Avec tout ceci, Cecil Jacobson avait déjà bien mérité de rejoindre le Panthéon des escrocs. Mais c'est un petit service additionnel que le bon docteur rendait parfois à certaines patientes, qui justifie pleinement sa renommée si particulière. Parfois certaines femmes tombaient véritablement enceintes pendant son traitement (en ce cas, il les renvoyait immédiatement à leur obstétricien habituel pour veiller sur elles). Mais, alors que certaines grossesses étaient simplement dues à la nature reprenant son cours, d'autres étaient la conséquence d'une insémination artificielleinsémination artificielle, recommandée et pratiquée par le docteur Jacobson.

    À l'en croire, pour chacune de ces inséminations, il utilisait du spermesperme d'un donneur anonyme dont les caractéristiques recoupaient exactement celles du mari de la patiente. Mais, en fait, le seul donneur n'était autre que lui-même !

    En 1991, le docteur Cecil Jacobson fut déferré devant les tribunaux et inculpé de 53 chefs d'accusation, le ParquetParquet soulignant qu'il ne s'agissait d'ailleurs là que de la partie émergée de l'iceberg. On estima que le sperme fourni par ses soins était à l'origine de plus de 75 naissances. Cependant, jusqu'au dernier jour, un petit noyau de supporters, regroupés autour du sénateur Orrin Hatch, représentant l'Utah, l'État dont Cecil Jacobson était originaire, continuèrent à le présenter comme un héros, un saint homme injustement persécuté. Le docteur Cecil Jacobson fut néanmoins reconnu coupable de tous les chefs d'accusation, et incarcéré.

    Et le prix Ig Nobel de biologie est attribué à...

    Et il obtint de surcroît le prix Ig Nobel 1999 de biologie. Le lauréat ne put pas se joindre à la cérémonie de remise. Il était occupé ailleurs pour une durée de 5 ans...

    Note :

    1. Prélèvement de liquide amniotiqueliquide amniotique, NdT