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    Maladie du cerveau et douleur : les défis de la neuropharmacologie

    Maladie du cerveau et douleur : les défis de la neuropharmacologie

    Pour communiquer entre eux, les neuronesneurones échangent des molécules qui activent des courants électriquescourants électriques en se liantliant aux récepteurs de leurs membranes. Tromper, bloquer, saturer certains de ces récepteurs : telles sont quelques-unes des stratégies utilisées pour la recherche de nouveaux médicaments contre les maladies du cerveaucerveau et la douleurdouleur.

    Schéma du cerveau et de ses régions. La recherche se penche sur de nouveaux médicaments contre les maladies du cerveau. © Colvir

    Schéma du cerveau et de ses régions. La recherche se penche sur de nouveaux médicaments contre les maladies du cerveau. © Colvir

    Créer des médicaments contre les maladies du cerveau

    Concevoir des médicaments est une longue course d'obstacles. Il s'agit d'abord de trouver une cible, c'est-à-dire une molécule ou un groupe de molécules dont le fonctionnement anormal est associé à la maladie. Il faut ensuite tester des millions de molécules candidates, susceptibles de se lier à la cible et de lui redonner une fonction normale. Une fois quelques molécules sélectionnées, commence l'élimination de toutes celles impropres à l'usage chez l'Homme à cause de leur toxicitétoxicité ou de leur dégradation rapide par l'organisme.

    Complexe, ce processus ? Il l'est encore plus pour les médicaments dévolus au cerveau. Tout d'abord, parce que celui-ci est séparé du sang par une barrière dite hémato-encéphaliquehémato-encéphalique qui empêche le passage de nombreuses substances. De ce fait, nombre de médicaments prometteurs se trouvent recalés parce qu'ils sont incapables d'atteindre le cerveau. Par ailleurs, le problème des effets secondaires est bien plus délicat dès que l'on s'intéresse à notre organe noble, car tous ne sont pas détectables par l'expérimentation chez l'animal.

    L'ère des consortiums

    Et pourtant, ça marche... Malgré ces obstacles, la neuropharmacologie progresse et s'attaque à des troubles qui lui étaient jusqu'alors inaccessibles, comme la dépendance. 

    Qu'est-ce que le plaisir ? Pour un neurobiologiste, c'est surtout la libération d'un neurotransmetteurneurotransmetteur, la dopaminedopamine, dans une région du cerveau dite système mésolimbique. Et ce quelle qu'en soit la source - nourriture, sexe, etc., mais aussi cocaïne ou nicotinenicotine. D'où l'idée d'utiliser des molécules qui tromperont le récepteur de la dopamine, soulageant ainsi le toxicomane de son besoin de droguesdrogues. La première molécule de ce type, nommée BP 897 a été découverte par le groupe de Pierre Sokoloff (Inserm, Unité 104, Paris). Pour ce chercheur, coordonnateur depuis 1995 de deux réseaux de recherche successifs soutenus par l'Union européenne, « la nouveauté du BP 897 est qu'il n'interfère pas avec le mécanisme primaire de recherche de drogues, et qu'il ne crée donc pas de nouvelles dépendances ». Les premiers essais cliniquesessais cliniques sont en cours.

    Une des stratégies qui a permis ces progrès est bien connue des judokas : retourner contre son adversaire sa propre force. On a découvert que de très nombreuses fonctions cérébrales ont en commun d'impliquer un petit groupe de récepteurs. Dès lors, en concentrant un maximum de recherche sur l'un ou l'autre d'entre eux, on ouvre des pistes pour l'élaboration de médicaments intéressant un éventail varié de maladies. Cette stratégie est celle adoptée par deux consortiums de recherche européens actuellement soutenus par l'Union.

    Le premier, coordonné par Alvaro Villaroel (Instituto Cajal, Madrid), s'intéresse à un canal perméable aux ions potassium, dit canal KCNQ. Il s'agit d'une grosse protéineprotéine insérée dans la membrane neuronale qui ne laisse passer les ions potassium que dans certaines conditions. Lorsque celles-ci sont réunies, le passage d'ions s'accompagne d'un courant électrique spécifique baptisé courant M, dont la modulationmodulation par des médicaments est susceptible d'améliorer les capacités cognitives. Chaque canal KCNQ contient une chaîne protéique dite alpha qui focalise tous les intérêts. Comme l'écrivait Thomas Jentsch, de l'Université de Hambourg, partenaire du projet, dans la revue Nature : « Nous connaissons aujourd'hui quatre types de chaînes alpha. La mutation de chacune d'entre elles est associée à une maladie humaine ». Ainsi, l'étude multidisciplinaire avancée du canal KCNQ, de sa structure biochimique aux propriétés physiologiques du courant électrique M, est donc au programme de ce réseau. Cette meilleure connaissance devrait permettre de développer de nouveaux médicaments - tâche qui revient aux deux partenaires industriels du projet, les sociétés Diver Drugs de Barcelone et Neurosearch de Ballerup (Danemark). Leurs efforts porteront principalement sur l'épilepsieépilepsie néonatale et la maladie d'Alzheimer.

    La maladie d'Alzheimer fait partie des maladies du cerveau, que l'on appelle maladies neurodégénératives. © DR

    La maladie d'Alzheimer fait partie des maladies du cerveau, que l'on appelle maladies neurodégénératives. © DR

    Le second programme s'intéresse à une autre molécule-clé de la membrane neuronale : les récepteurs de la somatostatine. Pourquoi la somatostatine ? Le coordinateur de ce réseau de 12 laboratoires, Wolfgang Meyerhof (Deutsches Institut für Ernährungforschung, Potsdam, Allemagne) s'en explique : « La somatostatine est un modèle du groupe des neuropeptides, ces très petites protéines dont le rôle dans la communication intercellulaire est bien connu. Mais leur utilisation nécessite de combler notre manque de connaissances sur leur spécificité, leur pharmacologie et leur demi-vie in vivoin vivo limitée ». La mobilisation d'un vaste effort de recherche sur la somatostatine tient, en particulier, à la variété des maladies dans lesquelles ce peptide est impliqué : maladie d'Alzheimermaladie d'Alzheimer, maladie de Parkinsonmaladie de Parkinson, chorée de Huntingtonchorée de Huntington, mais aussi dépression, schizophrénieschizophrénie, anxiété... Enfin, cette molécule a des propriétés antiprolifératives uniques qui en font une molécule intéressante pour lutter contre les tumeurs du cerveau. Cela explique sans peine l'intérêt que lui portent deux des plus grands industriels de la pharmacie européenne, le suisse Novartis et le britannique Glaxo-Wellcome, tous deux partenaires du projet.

    Les sclérosesscléroses multiples sont des maladies dégénératives du système nerveux provoquées par un dérèglement du système auto-immunitaire. Un projet associant des équipes hollandaises, suédoise et autrichienne a réussi à démontrer sur des modèles animaux une voie thérapeutique prometteuse en utilisant un anticorpsanticorps monoclonalmonoclonal (apparaissant en orange) qui bloque les dysfonctionnements auto-immuns.

    Morphines endogènes contre la douleur

    Au côté de ces recherches sur les maladies cérébrales, des travaux importants sont engagés pour faire face à l'un des défis les plus tenaces posés par le système nerveux centralsystème nerveux central à la médecine contemporaine : la lutte contre la douleur. Cette branche de la pharmacologie a longtemps été négligée et l'on entendait, il n'y a pas si longtemps, d'éminents cliniciens juger « normal » que les patients souffrent. Cette époque est heureusement révolue et le développement des analgésiquesanalgésiques représente aujourd'hui un marché estimé à 300 millions d'euros par an en Europe. Et pour cause : on estime que près de 50 millions d'européens souffrent de douloureux maux de tête récurrents. La douleur chronique est désormais considérée comme un fléau pour la qualité de vie et est devenue un objet permanent de recherches fondamentales et appliquées.

    « La morphine est probablement la drogue dont l'usage est le plus ancien dans la médecine occidentale » explique Ian Kitchen (Université de Surrey, Royaume-Uni), coordonnateur, de 1996 à 1998, d'un réseau européen de recherche sur le rôle des opioïdesopioïdes D dans le contrôle de la douleur et de la dépendance. « Mais si la morphine est certainement un excellent analgésique, elle produit de nombreux effets secondaires indésirables. De ce fait, les cliniciens sont depuis longtemps demandeurs de nouveaux médicaments. » Les chercheurs de ce réseau se sont ainsi efforcés de mieux comprendre les bases moléculaires de l'effet de la morphine ainsi que des molécules opioïdes apparentées qui circulent naturellement dans notre cerveau, appelées endorphinesendorphines.

    Leurs études de la réponse à la douleur et à ses traitements chez des souris aux fonctions opioïdes transgéniquement modifiées, qui fournissent d'excellents modèles de laboratoire, ont fait l'objet de pas moins de cinquante publications dans les revues scientifiques spécialisées. Prenant la suite de ces recherches fondamentales, un programme coordonné par Andis Kreicbergs (Karolinska Hopital, de Stockholm) s'efforce, depuis 1999, de rechercher de nouvelles drogues opioïdes ne provoquant pas d'effets secondaires, adaptées aux douleurs inflammatoires de l'appareil locomoteur. Les dizaines de millions d'Européens affectés d'arthritearthrite et de douleurs lombaires apprécieront.